Wilfrid Laurier : C’est compliqué

Photographie noir et blanc d’Émilie Lavergne portant une robe pâle, assise dans un fauteuil et lisant une lettre.

Sir Wilfrid Laurier, septième premier ministre du Canada, a eu le plus long mandat ininterrompu. Il est considéré comme l’un des plus grands hommes politiques du Canada. Il avait énormément de charisme et il était charmant et passionné, qualités qui l’ont bien servi dans ses fonctions et dans sa vie personnelle. Cette passion se perçoit dans de nombreuses lettres qu’il a écrites à son épouse, Zoé. Mais peut-être pouvons-nous avoir une meilleure idée de son caractère grâce aux lettres qu’il a envoyées à Émilie Lavergne.

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Date de publication : 17 novembre 2016

  • Transcription d'épisode 32

    Wilfrid Laurier : C’est compliqué

    Geneviève Morin : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Septième premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier a eu le plus long mandat sans interruption de l’histoire canadienne. Considéré comme l’un des plus grands politiciens du Canada, il était doté d’un charisme incontestable, une qualité qui l’a servi tant dans sa vie professionnelle que privée. La passion qui l’animait transparaît dans les lettres qu’il écrivait à sa femme, Zoé; mais sa personnalité se révèle peut-être encore plus dans sa correspondance avec Émilie Lavergne.

    Pour en savoir plus au sujet de ces lettres, nous nous sommes rendus à la bibliothèque de Perth and District Union, dans la ville de Perth, en Ontario. Nous y avons rencontré M. Roy MacSkimming, auteur d’un roman historique intitulé Laurier in Love (qu’on pourrait traduire par Laurier en amour).

    Nous avons d’abord voulu savoir comment Laurier avait rencontré sa femme, Zoé.

    Roy MacSkimming : Wilfrid a rencontré sa femme quand il était jeune homme, et qu’il terminait ses études de droit en français et en anglais à l’Université McGill. Il logeait dans une pension du Vieux-Montréal qui appartenait au docteur Gauthier. Zoé et sa mère y habitaient aussi, après avoir été plus ou moins abandonnées par le père de Zoé, un homme absent sur qui elles ne pouvaient pas vraiment compter. Les deux femmes gagnaient leur vie en donnant des leçons de piano aux enfants de familles montréalaises. C’est là que Wilfrid a rencontré Zoé pour la première fois. C’était une jeune femme menue, réservée, très timide et très bien éduquée. Il l’a trouvée charmante comme tout. Il s’assoyait dans le salon de la pension pour l’écouter jouer du piano. Son intérêt pour elle est vite devenu évident. Ils allaient ensemble se balader dans la vieille ville, et ils ont noué des liens d’amitié très étroits.

    GM : Nous avons ensuite demandé à Roy comment la relation entre Wilfrid et Zoé avait évolué.

    RM : Leur relation a évolué de façon un peu étrange; inhabituelle, en tout cas. Wilfrid a commencé à exercer le droit à Montréal. Il continuait de voir Zoé, sans jamais la demander en mariage. Les deux jeunes gens se fréquentaient depuis longtemps, mais leur relation semblait stagner.

    En fait, Wilfrid souffrait de problèmes de santé. Il avait peur d’être atteint de tuberculose, comme d’autres membres de sa famille avant lui. Un jour, après s’être surmené au travail, il s’est effondré dans son bureau en crachant du sang. Il était convaincu de souffrir de ce qu’on appelait à l’époque « la consomption ». Son médecin lui a conseillé d’aller vivre à la campagne, loin de la ville et de la pollution, loin des fumées et de la saleté de Montréal.

    Nous sommes alors à la fin des années 1860. À l’époque, Laurier était membre du Parti rouge, un parti très libéral pour l’époque – anticlérical, nationaliste et relativement anti-britannique. Les rouges publiaient quelques journaux, dont un dans le village de L’Avenir, dans la région des Bois-Francs, au Québec. Ils voyaient ce village comme un fief où le Canada français pourrait préserver sa culture, se développer et s’épanouir à l’abri de l’anglais. C’est donc là que Laurier s’est installé, pour y diriger le journal. Il a interrompu sa carrière de juriste pour vivre ses convictions politiques.

    Il était heureux de s’occuper du journal, mais cela l’obligeait à vivre loin Zoé. Il lui a écrit des lettres très tendres, lui disant que malgré toute la tristesse causée par leur éloignement, il devait vivre à la campagne pour retrouver la santé.

    Wilfrid Laurier : « J’ai été tout à fait bien toute la journée sauf un peu de faiblesse, mais la poitrine tout à fait dégagée. Je me hâte de t’écrire ma bien-aimée, car je sais que tu seras désappointée de ne point recevoir de lettre aujourd’hui. Je te prie en grâce de ne pas t’effrayer. Ma maladie cette fois-ci n’a rien de grave. Je puis marcher, sortir et mon visage n’est pas changé du tout! – Victoriaville, 6 juillet 1867 »

    (Source : Fonds sir Wilfrid Laurier, MG 26-G, volumes 814a et 814b, no MIKAN 3797648)

    RM : Mais Zoé commençait à désespérer que Wilfrid s’en sorte. Elle a commencé à fréquenter un autre homme; un jeune médecin montréalais qui était très amoureux d’elle et qui voulait l’épouser. Elle s’est retrouvée face à un dilemme : c’est Wilfrid qu’elle voulait marier, mais la grande demande lui avait été faite par un autre – un jeune médecin, profondément amoureux, qui ferait un époux idéal.

    Le docteur Gauthier, chez qui Zoé logeait encore, a eu connaissance de la situation. Il s’est empressé d’envoyer un télégramme à Wilfrid pour lui dire de revenir sur-le-champ. Wilfrid n’y comprenait rien, mais il croyais son bon ami et son mentor quand il lui disait que c’était urgent. Il a donc sauté dans un train le jour suivant et s’est rendu à Montréal. Le docteur Gauthier lui a ordonné de se présenter à son cabinet. Il lui a fait enlever ses vêtements et l’a examiné des pieds à la tête, pour voir si Wilfrid souffrait de consomption. Son verdict : « Wilfrid, vous avez une toux sévère causée par une bronchite, mais aucune trace de consomption ».

    GM : Donc, il avait attendu tout ce temps pour rien.

    RM : Oui. Sa peur d’être malade l’avait empêché de demander la main de Zoé. Il ne voulait pas qu’elle se retrouve avec un époux malade, qui pouvait mourir à tout moment. Mais Gauthier lui a dit qu’il était en bonne santé et qu’il vivrait des années, surtout s’il connaissait le bonheur du mariage.

    Il lui a dit : « Cette jeune femme qui demeure dans ma pension vous pleure depuis des jours, parce qu’elle craint de devoir accepter une autre demande. Je vais la chercher. Je vais l’amener ici et vous laisser seuls ensemble. » (Et j’imagine qu’entre-temps, Wilfrid avait remis ses vêtements!)

    Le docteur Gauthier est donc allé chercher la timide Zoé, qui ne savait rien de cette intrigue. À son avis, puisque les deux jeunes gens s’aimaient, ils devaient vivre ensemble, voilà tout. Il a forcé Wilfrid à rassurer Zoé; à lui expliquer que sa santé était bien meilleure qu’il ne le pensait, et qu’il pouvait se marier sans crainte. Wilfrid a demandé la main de Zoé sur-le-champ, et peu après, ils ont convolé en justes noces.

    GM : Incroyable! Le docteur Gauthier est intervenu, comme un père qui veille aux intérêts de sa fille.

    RM : C’est exact! Il a joué un rôle d’intermédiaire. Mais il avait aussi l’impression d’aider Wilfrid, de lui donner le coup de pied au derrière dont il avait besoin pour laisser tomber son anxiété et passer à l’action. Ça nous laisse voir un trait de caractère de Laurier : une certaine ambivalence dans son engagement, du moins envers les femmes. Il aimait énormément la compagnie des femmes. Il avait eu une mère très attentionnée, qui est morte de consomption quand il avait sept ans. Quelques années plus tard, son père a épousé la gouvernante, une situation qui n’était pas rare à l’époque. La gouvernante est donc devenue la deuxième mère de Wilfrid, et elle avait beaucoup de tendresse pour lui. Les femmes lui ont témoigné beaucoup d’affection dans sa jeunesse. Il les aimait, et se sentait bien avec elles, mais il avait peur de s’engager.

    Zoé et Wilfrid se sont mariés, et ils ont emménagé ensemble dans l’est de Montréal. Plus tard, ils se sont établis à Arthabaska, qui fait maintenant partie de Victoriaville. (À l’époque, c’était un village séparé.) C’est là que Wilfrid a recommencé à exercer le droit, et c’est là qu’ils ont vécu pendant plusieurs années.

    GM : Laurier écrivait des lettres d’amour à Zoé. Est-ce que cette correspondance a commencé quand il était dans les Bois-Francs, ou c’était surtout plus tard?

    RM : Wilfrid écrivait plus souvent à Zoé quand il était dans les Bois-Francs. Il lui écrivait à Montréal, où elle était restée. Au début, il la gardait en haleine, si on peut dire, sans jamais s’engager; jusqu’à l’intervention du docteur Gauthier, que je viens de raconter.

    GM : Est-ce que Wilfrid avait des talents de poète? Est-ce qu’il se servait de sa plume pour essayer d’impressionner Zoé?

    RM : Il a tâté de la poésie à l’occasion. Il a écrit un très beau poème sur un papillon. C’était peut-être une métaphore le représentant, parce qu’il se posait ici et là; il ne restait jamais au même endroit.

    Mais il s’est posé à Arthabaska avec Zoé, où ils ont mené une vie très agréable, avec un grand cercle d’amis. Jusqu’à ce qu’un jour, une nouvelle venue vienne bouleverser leur vie.

    GM : Cette femme, c’était Émilie Lavergne.

    RM : Émilie Barthe, de son nom de jeune fille. Son père, un membre du Parti rouge, avait aussi participé à la Rébellion de 1837. C’était un fidèle de Papineau; une sorte de révolutionnaire intellectuel, un écrivain. Il s’était exilé après la Rébellion, comme l’avaient fait les fidèles de Papineau et Papineau lui-même.

    M. Barthe s’était réfugié à Paris. C’est là que sa fille Émilie a grandi, développant son intérêt pour la littérature française, la mode, la gastronomie et la littérature. Et comme son père pensait qu’elle retournerait vivre au Canada, il a voulu qu’elle apprenne l’anglais; alors Émilie a aussi passé un an à Londres, où elle a profité des plaisirs de la ville. Quand Émilie est arrivée à Arthabaska, invitée par des cousins, c’était tout un phénomène! Dans le cercle d’amis des Laurier, toutes les épouses s’inquiétaient de cette jeune célibataire qui pouvait conquérir leurs époux. Mais Émilie n’avait d’yeux que pour Wilfrid.

    GM : Oh!

    RM : Elle a eu Wilfrid dans sa mire dès le premier jour. Mais comme il était déjà marié, elle s’est rabattue sur le partenaire d’affaires de Wilfrid, Joseph Lavergne. C’est ainsi qu’elle est devenue Émilie Lavergne et qu’elle a emménagé tout près de chez les Laurier, quatre maisons plus bas, rue de l’Église. Les deux maisons existent encore. La rue est superbe; on y voit tous les styles architecturaux en vogue dans la seconde moitié du 19e siècle.

    C’était un univers de grande proximité : en face de la maison des Laurier se trouvait le cabinet où Wilfrid et Joseph Lavergne exerçaient. Et quatre maisons plus bas, sur le côté gauche, se trouvait la maison des Lavergne.

    Très vite, Wilfrid a développé une relation particulière avec Émilie. Les deux adoraient parler de littérature. Dans l’après-midi, à l’heure du thé, Wilfrid se levait de son bureau, prenait un livre et disait à Joseph : « Si tu le permets, je vais rendre visite à ta femme quelques instants. » Joseph était toujours d’accord. Alors Wilfrid, son livre sous son bras, se rendait quatre maisons plus bas, où Émilie l’attendait en faisant bouillir de l’eau pour le thé. S’il faisait froid, elle allumait un feu de foyer avec quelques bûches de bouleau. Ils s’assoyaient ensemble et discutaient de leurs lectures communes : Victor Hugo, George Sand, ou Madame de Staël. Les deux adoraient la littérature. Leur relation aurait donc commencé par une amitié littéraire ou intellectuelle. Mais plusieurs pensent que c’est allé beaucoup plus loin.

    GM : Si on regarde les lettres qui nous sont parvenues, on peut dire que la relation qui s’est développée entre eux allait au-delà du club littéraire.

    RM : Exactement! C’était beaucoup plus qu’un simple club littéraire. Et comme si les choses n’étaient pas déjà assez compliquées, Wilfrid est devenu politicien. En tant que député, il devait séjourner à Ottawa plusieurs mois d’affilée quand le Parlement siégeait. Il quittait alors Zoé, Émilie et Joseph.

    Au fil des ans, pendant ses séjours à Ottawa, il a écrit à Émilie des lettres de plus en plus intimes, libres et spontanées. Il s’épanchait; il exprimait ses désirs les plus intenses et les plus romantiques. Sa correspondance montre qu’il y avait bien plus qu’une simple amitié entre eux. En l’étudiant de près, on en apprend beaucoup sur leur relation, mais aussi sur Laurier lui-même, parce qu’il est très spontané dans ses lettres. C’est vraiment un contraste par rapport au personnage public, au politicien.

    En tant que politicien, Wilfrid a conquis le public avec sa philosophie de la « voie ensoleillée », qui l’a aidée à devenir premier ministre en 1896. Il misait vraiment sur la modération, les compromis et la conciliation. Dans sa vie publique, il veillait toujours à maîtriser ses élans, et à présenter les choses sous leur aspect « ensoleillé » et harmonieux. Il pouvait ramener l’harmonie entre des opposants et apaiser les conflits, surtout entre les Anglais et les Français, ou les catholiques et les protestants – des groupes où les fractures étaient très marquées. 

    Dans ses lettres, par contre, il pouvait être complètement lui-même. Nous le voyons aller jusqu’au bout de ses émotions. Nous avons en face de nous un homme bien plus complexe, voire tourmenté, en proie à des conflits.

    GM : Après avoir lu quelques-unes de ses lettres, le mot qui m’est venu à l’esprit est « vulnérable ». Il expose ses inquiétudes les plus intimes; on sent qu’il peut facilement être blessé. Pouvez-vous partager une de ses lettres avec nous?

    RM : Avec plaisir. Certains extraits sont particulièrement évocateurs. Mais sachez d’abord que dans les années 1970, des lettres de Laurier à Émilie ont été publiées sous le titre : Chère Émilie : Une correspondance de Sir Wilfrid Laurier. Il y en a une quarantaine, rédigées entre 1891 et 1893. À ce moment, Wilfrid était chef de l’opposition; il ne faisait plus partie du gouvernement, et il se sentait déchiré, d’une certaine manière, entre ses fonctions de politicien et de chef du Parti libéral. Certains jours, il aurait volontiers laissé sa place, tellement le fardeau était lourd à porter. Il ne menait pas le genre de vie qu’il aimait, axée sur l’esprit et la réflexion. Il devait plutôt rester un politicien pragmatique, descendre dans l’arène politique et combattre.

    C’est surprenant, mais presque toutes les lettres de Laurier à Émilie sont en anglais. Dans un recueil intitulé Dearest Emilie [ou Ma très chère Émilie], il n’y a que deux lettres en français. Les gens croient – et je pense qu’il y a une part de vérité là-dedans – les gens croient qu’il écrivait en anglais parce qu’il exprimait plus facilement ses sentiments dans cette langue. Mais la vraie raison est peut-être très terre-à-terre : Laurier se méfiait de la maîtresse de poste à Arthabaska. En écrivant en anglais, il savait qu’elle ne comprendrait rien, même si elle ouvrait ses lettres pour espionner ce que monsieur Laurier racontait à madame Lavergne. D’ailleurs, un fait renforce cette hypothèse : dans sa deuxième lettre en français, Wilfrid fait part de ses soupçons à Émilie. Il est certain que sa dernière lettre a été ouverte.

    GM : Oh!

    RM : La lettre a été manipulée, quelque chose a été retiré de l’enveloppe. Ça le rend furieux. Il l’écrit en français, sachant que la maîtresse de poste pourra le lire, bien sûr. Je pense que ça explique tout. Il voulait faire passer le message : « Madame la maîtresse de poste, cessez d’intercepter ma correspondance. »

    GM : Ça ne serait pas surprenant. J’ai entendu des histoires de ce genre, qui se passeraient encore de nos jours, dans de petits villages. Moi-même, en tant qu’archiviste, je le sais bien : quand on a tous ces documents intéressants qui vous passent entre les mains, on ne peut pas vous empêcher d’y jeter un coup d’œil de temps en temps. Surtout lorsque ça concerne des gens aussi intéressants.

    RM : C’est ça! Pendant les journées tranquilles, à Arthabaska, la maîtresse de poste avait probablement tout son temps pour ouvrir une enveloppe à la vapeur et en sortir la lettre.

    RM : Par contre, les lettres d’Émilie à Wilfrid étaient toutes en français. Elle était beaucoup plus à l’aise d’écrire dans cette langue. Malheureusement, nous n’avons plus ces lettres. Wilfrid les a remises à Émilie quand il est devenu premier ministre, pour qu’elles ne soient pas une source d’embarras pour lui. Et on a perdu leur trace. Ça serait une grande découverte, pour les archives canadiennes, si nous pouvions les retrouver et les comparer aux lettres de Laurier. Nous aurions l’ensemble de leur correspondance; les deux côtés de la relation, les deux points de vue différents.

    À l’époque, quand Laurier était à Ottawa, il séjournait à l’hôtel Russell. C’était l’établissement le plus luxueux de la ville. (En fait, probablement le seul luxueux de la ville!). Beaucoup de parlementaires y séjournaient aussi. Laurier se réservait tous ses dimanches, profitant du fait que le Parlement ne siégeait pas. Les dimanches, donc, au début des années 1890, il s’assoyait à son bureau et écrivait une longue lettre – non pas à Zoé, mais à Émilie, restée à Arthabaska. En voici un extrait, qui révèle les sentiments de Wilfrid pour Émilie, mais aussi l’existence de certains désaccords. Il lui écrit : « Moi aussi, mon amie très chère, j’ai bien hâte de vous revoir; une des raisons de mon impatience, à part le plaisir de regarder votre visage, c’est le désir de répondre à toutes ces questions dont vous me menacez. » – [Ottawa, dimanche] le 17 [mai 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p.51)

    RM : De toute évidence, Émilie était jalouse et exigeante. Elle avait l’impression qu’il ne lui accordait pas assez d’attention, ou qu’il s’intéressait trop aux autres femmes. Apparemment, elle lui demandait souvent d’en faire plus.

    J’imagine que ce n’était pas la seule chose qui accrochait. Elle ressentait un désir plus profond; elle voulait entretenir une relation au grand jour avec lui, même si les lois et les coutumes de l’époque, l’Église, et bien d’autres facteurs, rendaient le divorce difficile, voire impossible. Elle aurait aimé que Wilfrid quitte Zoé pour vivre avec elle. Elle le blâmait, je pense.

    On retrouve ce mélange de sentiment amoureux et de blâme dans les lettres que Wilfrid lui écrit. Il lui dit : « Si seulement vous saviez ce que votre affection signifie pour moi, ou même si vous aviez pour moi la même indicible affection que j’ai pour vous, de semblables pensées n’effleureraient même pas votre esprit. Si seulement je pouvais vous voir en ce moment, si seulement je pouvais m’asseoir auprès de vous, et simplement vous regarder droit dans les yeux, je sais que vous vous sentiriez honteuse d’avoir douté de moi. Autrefois, vous auriez pu douter de moi, mais depuis de nombreuses années [ligne endommagée] pareil doute est une injure, je devrais dire une insulte à mon égard. – [Ottawa, jeudi] le 21 [mai 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 55-56)

    RM : Il passe à l’offensive, en quelque sorte. Il la réprimande parce qu’elle doute de son affection, de sa loyauté. Ils vivent à 300 kilomètres l’un de l’autre pendant des mois, et ils essaient de régler tout ça par des lettres. Les communications étaient bien plus lentes qu’aujourd’hui, où nous avons les interurbains, les courriels, les textos... C’est bien plus facile et fréquent, aujourd’hui, d’entretenir des relations à distance.

    GM : On imagine bien qu’une dispute d’amoureux exige beaucoup de patience, quand vous devez d’abord attendre que le facteur livre votre lettre, puis vous ramène la réponse.

    RM : Oui, vous devez attendre longtemps. Vous avez donc plus de temps pour vous inquiéter et trouver d’autres raisons d’être inquiet. Ensuite, vous déversez vos soucis dans votre prochaine lettre; et ensuite, votre amoureux doit vous rassurer et vous dire que vos inquiétudes ne sont pas fondées.

    La lettre dont je viens de vous parler (celle de mai 1891) renferme une découverte fascinante. Laurier y parle d’un endroit qu’il appelle la colline Sainte-Anne. Il dit : « Je vous ai envoyé un livre, je ne vous demande pas de le lire en entier. Lisez le chapitre : "La colline Sainte-Anne", et vous comprendrez qu’en le lisant mon cœur se soit empli d’images de rêve, jamais réalisées. – [Ottawa, jeudi] le 21 [mai 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 56)

    RM : Environ une semaine plus tard, dans une autre lettre, on voit que ça lui tient vraiment à cœur, car il écrit : « Avez-vous lu le chapitre sur la colline Sainte-Anne? Gardez-moi le livre, ne le renvoyez pas. Je veux le feuilleter avec vous, et revoir les passages qui m’ont frappé, et qui ont si vivement évoqué votre chère image. – [Ottawa, dimanche] le 24 [mai 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 59)

    GM : Et de quoi parlait ce chapitre?

    RM : Et bien, on ne sait pas de quel livre il s’agit. Plusieurs chercheurs ont essayé de le retracer. Avec l’aide de Charles Fisher, le premier éditeur des lettres qui figurent dans le livre Chère Émilie…, j’ai pu faire des recherches plus poussées en ligne, grâce aux nouveaux outils que nous avons maintenant.

    Ce qui est à peu près certain, comme M. Fisher le pensait, c’est que la référence à la colline Sainte-Anne concerne un des héros politiques de Laurier. Laurier admirait les grands libéraux anglais; des penseurs politiques et des politiciens de son époque, et de la génération précédente – des gens comme John Stuart Mill, qui a écrit sur la liberté, et avec qui Laurier partageait des convictions :­­ la séparation de l’Église et de l’État, la liberté d’expression, la liberté de voter pour le candidat de son choix – et non pour le candidat désigné par l’Église, comme ça se faisait à l’époque, et surtout au Québec.

    Wilfrid admirait particulièrement le Britannique Charles James Fox, un ancien dirigeant du Parti whig, qui était l’ancêtre du Parti libéral anglais à la fin du 18e siècle. Il avait lu, dans sa biographie, que la maîtresse de Fox (madame Armistead) était originaire de St. Ann’s Hill, « la colline Sainte-Anne ». C’était une courtisane qui avait eu plusieurs amants dans l’aristocratie londonienne, y compris avec le prince de Galles et futur roi d’Angleterre. Charles James Fox était tellement épris d’elle, de sa beauté et de sa merveilleuse personnalité qu’il a exprimé le souhait de l’avoir pour lui seul, ce qu’elle a accepté. Elle a donc abandonné ses autres soupirants pour s’installer avec lui dans sa maison de campagne, dans le Surrey – un lieu appelé « colline Sainte-Anne », où ils ont mené une vie heureuse.

    Fox avait mené jusque-là une vie assez dissolue. Mais sous l’influence de Mme Armistead, il a tempéré certains de ses vices. Il a appris à aimer les choses simples, comme la lecture, le jardinage et les promenades dans le village. Vers la fin de sa vie, cet homme que Laurier admirait tant menait à ses yeux une existence idyllique.

    En recommandant vivement à Émilie de lire cette histoire, Wilfrid voulait lui montrer la vie dont il rêvait. Il y revenait dans ses lettres. Il lui écrit encore : « Avez-vous lu "La colline Sainte-Anne"? Mettez le livre de côté; gardez-le sous la main que je puisse vous montrer ce qui m’a le plus frappé, ce qui serait mon rêve, quelle image me hante désormais. Je rêverais volontiers du repos de la colline Sainte-Anne, après les pénibles travaux dans lesquels je suis engagé. – [Ottawa, mercredi] le 27 [mai 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 62)

    RM : Il doit vivre avec les exigences de la politique, et aussi celles du mariage…

    GM : On dirait qu’il entretient cette vision pour apaiser une certaine jalousie, aussi. Il lui promet une retraite commune. « Si vous êtes patiente, nous pourrons vivre ensemble à la retraite. »

    RM : C’est vrai.

    GM : « Nous pourrons avoir une vie semblable à ça. »

    RM : Oui. C’est ce qu’il fait, je pense. Il lui montre qu’il rêve d’un avenir avec elle. Si seulement il n’avait pas ce travail éreintant de chef du Parti libéral et chef de l’opposition… Sans oublier son mariage avec Zoé, une femme merveilleuse et dévouée, qu’il aime aussi. Je pense que c’est un trait de caractère de Laurier. Quand j’ai choisi d’intituler mon roman Laurier en amour, je ne faisais pas référence seulement à Émilie. Je faisais aussi référence à la relation de Laurier avec Zoé, et à sa relation avec le Canada (parce qu’il aimait le Canada), avec le Québec, et avec lui-même. Je pense qu’en fin de compte, il s’aimait énormément, d’une façon plus ou moins saine.

    En politique, il pouvait essayer de réconcilier les opposants et de leur faire faire des concessions –d’obtenir des compromis politiques. Mais dans sa vie amoureuse, ce n’était pas aussi facile. Émilie a fini par se lasser de ses promesses et de ses visions romantiques. Puis, aux élections générales de 1896, Laurier et le Parti libéral ont été élus avec une majorité écrasante, ce qui a été un tournant. Laurier est devenu premier ministre du Canada – le tout premier Canadien français. Il avait eu beaucoup d’appuis, pas seulement des Canadiens français, mais aussi des Canadiens anglais. Et très vite après sa nomination, il cesse d’écrire à Émilie combien cette tâche lui pèse, de lui dire qu’il souhaite passer le flambeau à un autre, qu’il pourrait prendre sa retraite à la colline Saint-Anne…

    GM : Oh!

    RM : En fait, il découvre qu’il aime le pouvoir. Maintenant qu’il est à la tête du pays et qu’il peut diriger le gouvernement, la politique devient bien plus intéressante à ses yeux. Elle accapare tout son temps et toute son énergie.

    Mais la politique menace sa relation avec Émilie, et celle-ci va tout faire pour trouver une solution. Dans Laurier en amour, j’en parle de façon romancée, mais c’est à peu près ce qui a dû arriver : Émilie va déménager à Ottawa avec son mari, Joseph Lavergne. Joseph avait été élu député libéral au cours du mandat précédent. Après la victoire de 1896, il s’établit avec Émilie à Ottawa. Zoé Laurier quitte Arthabaska elle aussi. Donc les Laurier et les Lavergne vivent maintenant à Ottawa.

    GM : C’est impossible que Joseph et Zoé n’aient pas su ce qui se passait. Ils étaient certainement au courant de cette « amitié »?

    RM : Oui, absolument. Joseph était bien conscient de la situation. Il savait que des lettres arrivaient d’Ottawa deux ou trois fois par semaine. Tout comme les enfants Lavergne — ils savaient que monsieur Laurier écrivait des lettres à maman; ils étaient amis, après tout.

    L’attitude de Joseph Lavergne est particulièrement intéressante. Je la décris, dans mon roman, comme un mélange d’acceptation et de collusion. Joseph et Zoé toléraient implicitement la relation entre Émilie et Wilfrid. À mon avis, Joseph sentait qu’il avait une dette énorme envers Wilfrid, qui l’avait accepté comme associé; grâce à leur partenariat, Joseph était devenu prospère. Wilfrid lui avait aussi fait découvrir la politique, et il avait insisté pour qu’il se présente comme député. Joseph est devenu député dans la circonscription d’Arthabaska parce que la circonscription de Wilfrid était plus à l’est, dans la ville de Québec.

    Je pense que Joseph ressentait un mélange d’admiration et de crainte envers Laurier, même s’ils étaient partenaires depuis longtemps. Laurier était un homme incroyablement autoritaire et intelligent, qui démontrait beaucoup de charme et de sang-froid. Il était très éloquent. Sa « voie ensoleillée » n’était pas qu’une image : il savait mettre les gens à l’aise. Il a convaincu des millions de protestants anglais de voter pour un Canadien français catholique – même s’il n’incarnait pas tout à fait l’Église catholique romaine, et même s’il s’était attiré les foudres de l’Église et des éléments ultramontains, au Québec.

    En raison de toutes ces grandes qualités, Joseph était reconnaissant d’avoir Wilfrid dans sa vie. Wilfrid avait transformé sa vie de bien des manières. S’il entretenait une relation plutôt intime avec sa femme, et bien, c’était le prix à payer. Tout cela venait ensemble; c’était un tout.

    Bien sûr, c’était aussi la vision de Laurier. Zoé n’avait aucun intérêt à s’affirmer et à lui demander de mettre un terme à cette relation, car il aurait pu la quitter. Elle ne voulait pas détruire leur mariage. Joseph ne voulait pas non plus détruire le sien. En fin de compte, Laurier lui-même ne voulait pas détruire son mariage et la vie de Joseph et d’Émilie. Même s’il avait promis à Émilie de prendre sa retraite avec elle à la colline Sainte-Anne, il ne l’a pas fait. Il n’est jamais passé de la parole aux actes.

    GM : Pour lui, tout était pour le mieux si les deux couples restaient unis.

    RM : Tout était pour le mieux. Il était aux commandes.

    GM : D’une manière bien spéciale.

    RM : Oui. Il n’était pas seulement le premier ministre du pays. Je pense que tous les membres de son cercle immédiat jouaient les rôles qu’il leur avait choisis. Il ne voulait pas y renoncer. Et au bout du compte, il ne l’a pas fait.

    GM : Il y avait – et il y a encore ­– des rumeurs concernant la ressemblance frappante entre Wilfrid et Armand, le fils de Joseph et d’Émilie. En lisant les lettres de Laurier, on voit qu’il manifestait un grand intérêt envers les deux enfants Lavergne. Roy nous explique pourquoi.

    RM : Laurier s’intéressait beaucoup à Armand et à Gabrielle. Gabrielle était la plus vieille des deux. Plus nous avançons dans la correspondance, plus ça devient intéressant. Laurier s’intéresse davantage aux enfants.

    Par exemple, au sujet de Gabrielle, il dit : « Parlez-moi longuement de ma chère G[abrielle]. Quelle splendide fille elle sera quand je la reverrai. Grande, forte, avec son corps souple et la douce peau de son visage bien hâlée par la brise de mer! Je suis sûr que plusieurs fois par jour votre vanité de mère est flattée par les éloges adressés à cette gentille enfant. – [Ottawa, dimanche] le 26 [juillet 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 73)

    RM : Dans le paragraphe suivant, il parle d’Armand : « Quant à votre garçon, je suis toujours sous le charme de sa présence ici. – [Ottawa, dimanche] le 26 [juillet 1891]. »

    (Source : Chère Émilie..., p. 73)

    (Source : Chère Émilie..., p. 73)

    RM : Parce qu’ils vont passer des vacances au bord de la mer — « Cette mince charpente est le parfait réceptacle pour tout l’ozone provenant de l’eau, de la forêt et de la montagne. – [Ottawa, dimanche] le 26 [juillet 1891]. »

    (Source : Chère Émilie..., p. 73)

    GM : S’inquiète-t-il encore de la tuberculose?

    RM : Oui. À l’époque, l’air frais était vu comme une source de bienfaits, et l’air marin, comme un remède pour cette maladie qu’on ne savait pas soigner. On fondait beaucoup d’espoir dans l’air pur de la campagne.

    GM : Oui, profiter des bienfaits de l’ozone!

    RM : Wilfrid mentionne Gabrielle dans une autre lettre. J’avais noté dans la marge : « Est-ce que Gabrielle était aussi sa fille? » Je me pose la question, parce qu’il dit : « Tandis que j’écris surgit dans mon esprit l’image de votre délicieuse fille. La chère enfant est tout juste au seuil de la vie. Elle est comme un jeune oiseau au bord du nid, tenté par l’espace, mais pas encore sûr de ses ailes. – [Ottawa, dimanche] le 2 [août 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 79)

    GM : Il adore ces enfants...

    RM : Oui.

    GM : On le voit à la manière dont il en parle.

    RM : Il écrit : « Je suis ravi que cette chère G[abrielle] apprécie tant son voyage. Je me réjouis de savoir qu’elle en tirera un immense profit, à la fois physiquement et mentalement. Quant au petit bonhomme, c’est de l’air qu’il lui faut, tout l’air pur que son corps délicat pourra absorber. – [Ottawa, dimanche] le 2 [août 1891] »

    (Source : Chère Émilie..., p. 79)

    RM : Il s’intéresse beaucoup à eux, et il exprime aussi son admiration envers Armand quand celui-ci vient lui rendre visite. Je pense qu’il se sent vraiment comme un père, pas seulement comme un parrain bienveillant. Il s’intéresse personnellement à ces enfants, à leur vie et à leur avenir.

    GM : Nous avons demandé à Roy s’il y avait eu un terme à la relation entre Wilfrid et Émilie.

    RM : Dix ans avant que Laurier perde le pouvoir, en 1911, il a essayé de mettre un terme à sa relation avec Émilie. Elle se faisait trop pressante, elle se mettait trop de l’avant. Elle essayait toujours d’être au centre de sa vie de premier ministre. Elle se comportait presque comme si elle était sa partenaire ou sa seconde épouse. Bien sûr, il l’avait toléré, il l’avait permis; mais à ce point-là, ça devenait un embarras et un obstacle, je pense, pour son travail. Il a donc trouvé une solution brillante pour l’éloigner, sans avoir à lui dire « c’est fini entre nous ». Il a nommé Joseph à un poste plus élevé à Montréal. Et Émilie a dû suivre son époux; c’est ce que les femmes faisaient, à l’époque.

    Une fois Émilie installée à Montréal, il a gardé un certain contact avec elle, même si elle vivait beaucoup d’amertume; en vieillissant, elle est devenue de plus en plus amère, d’ailleurs. Elle voulait que Wilfrid nomme Joseph à la Cour suprême, mais il ne l’a pas fait. Cela l’a rendue amère, et elle a transmis ce sentiment à Armand, qui croyait lui aussi que Laurier avait insulté son père.

    Mais Laurier essayait encore de voir les choses sous un angle positif. Vers 1902 ou 1903, alors qu’il était à Ottawa, il a écrit quelques lettres à Émilie. Les originaux se trouvent dans le fonds Laurier, à Bibliothèque et Archives Canada, à Ottawa. C’est là que je les ai vus, et je les ai utilisés pour les dernières pages de Laurier en amour.

    Il écrit à Émilie :

    « Bien que nous soyons séparés par tant de kilomètres, je tiens à ce que vous sachiez que vous occupez toujours mes pensées. Je suis certain que Montréal sera un environnement bien plus stimulant pour vous parce que c’est notre capitale intellectuelle. C’est là que vivent tous les poètes, les dramaturges et les musiciens; c’est là où fleurit la vie artistique. Vous pouvez y tenir salon et vous pouvez être la Madame de Staël de Montréal. Bien évidemment, vous êtes entourée de vos merveilleux enfants, et ils grandissent et deviennent de jeunes adultes brillants.

    Bien que la distance qui nous sépare, ma chère amie, soit grande, il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à vous. L’amitié des temps passés a été trop intense pour être interrompue par une séparation absolue.

    Il y a séparation dans un certain sens, mais c’est certainement un des plus grands malheurs de mon existence. D’autre part, l’on peut facilement abolir cette distance. Le mois dernier à Montréal, j’ai cru vous voir dans la foule sur le balcon de l’hôtel Windsor. Mes yeux ne sont plus ce qu’ils étaient, je ne suis pas sûr. J’espère qu’ils ne m’ont pas trahi.

    La pensée qui me préoccupe maintenant est de savoir comment vous vous sentez dans le nouvel environnement dans lequel vous évoluez maintenant. Puissiez-vous vivre heureuse dans cette ville! Bien des choses vont tendre vers ce but, votre esprit admirable s’y sentira bien entouré. Dans une perspective particulière, au moins, Montréal saura être un environnement agréable. C’est la ville dans laquelle notre pays a atteint le plus haut degré de développement intellectuel. Je suis sûr que vous y trouverez une satisfaction mentale que vous ne saurez trouver nulle part ailleurs.

    […]

    Avez-vous conscience que je suis maintenant un vieil homme. Je viens de passer la dernière frontière. La prochaine sera la fin. Elle peut être proche, elle peut être lointaine —probablement lointaine —, mais elle est là, à l’horizon : c’est la loi de la nature. Je ne dois pas me plaindre, et je ne me plains pas. J’ai toutes les raisons de remercier la providence. Mais je ne peux m’empêcher de regretter le bon vieux temps!

    Adieu, ma très chère amie. Dieu vous garde, vous et les vôtres.

    Votre dévoué, W. L. »

    (Source : Roy MacSkimming, Laurier in Love, a Novel, Thomas Allen Publishers, 2010, p. 267-269)

    RM : Il fait encore vibrer la corde romantique, mais de loin.

    GM : Le grand désavantage dans tout ça, c’est qu’en rompant avec Émilie, il s’éloigne aussi de son mari et de ses enfants. De toute évidence, la situation était horrible pour Émilie; elle a dû vivre de durs moments. Cela a sûrement été une épreuve pour Wilfrid aussi. Il perdait son très bon associé et son..., je suppose...

    RM : ... ami.

    GM : Il perdait un bon ami.

    RM : Oui.

    GM : Ainsi que les enfants.

    RM : C’est vrai. Il a dû sentir que le temps était venu de faire un sacrifice. À ce moment, il était premier ministre et se consacrait corps et âme à la politique. Il ne parlait plus de démissionner ou de prendre sa retraite, comme quand il était chef de l’opposition. Maintenant qu’il détenait le pouvoir, il aimait ce pouvoir; il aimait l’exercer, et il le faisait bien.

    Laurier a fait de grandes choses pour le Canada. Si nous laissons de côté sa vie privée un instant, et que nous nous penchons sur ses réalisations dans le service public — la manière dont il a rapproché les Anglais et les Français, pour qu’ils se sentent des citoyens égaux au sein d’un même pays — avec l’idée que le Canada englobe les deux cultures, les deux langues et les deux religions… En faisant cela, Laurier poursuivait l’œuvre entreprise par John A. Macdonald avant lui. Ces hommes sont les deux grands architectes du Canada d’aujourd’hui. Malgré toutes leurs imperfections (et elles étaient nombreuses, particulièrement du côté de Macdonald), leur vision du Canada était inclusive. Bref, Laurier a fait de grandes choses pour notre pays.

    GM : Finalement, le Canada a été son plus grand amour.

    RM : En fin de compte, je pense que oui. Le Canada prenait beaucoup de son énergie et de sa passion, et occupait une place prépondérante dans sa vie. Il ne pouvait pas abandonner cette passion; il ne pouvait pas abandonner la vie politique. Lorsqu’il est mort, en 1919, il était toujours chef du Parti libéral et chef de l’opposition. C’est incroyable!

    GM : Oui.

    RM : Il a siégé pendant une trentaine d’années, dont quinze ans à titre de premier ministre. C’est un record exceptionnel. Et c’est fascinant de lever le voile sur le grand personnage qu’il était, et d’apprendre à mieux le connaître à travers ses lettres...

    GM : Absolument.

    RM : Sa vie privée, son côté humain, ses émotions…

    GM : Vous dites que vous avez trouvé quelques lettres dignes d’intérêt à Bibliothèque et Archives Canada. Quelle partie de la collection vous a aidé pour l’écriture de votre livre?

    RM : Bien, j’ai fait deux choses. J’ai rencontré madame Hoogenraad, une employée de Bibliothèque et Archives Canada maintenant à la retraite, qui était une spécialiste de Laurier. Elle m’a guidé vers des lettres dont je ne connaissais pas l’existence. J’avais bien lu le recueil sur la correspondance de Laurier à Émilie, mais les dernières lettres dataient de 1893. Or, il y en avait d’autres; madame Hoogenraad les a trouvées pour moi. Elle m’a aussi montré quelques souvenirs de Laurier qui ont été très utiles pour mes recherches.

    Bibliothèque et Archives Canada m’a aussi fourni une autre source d’information très utile : je parle de tous les journaux qui remontent aux débuts du Canada, et qui sont enregistrés sur microfiches. Je les ai découverts quand j’écrivais mon premier roman historique sur John A. Macdonald. J’ai fait la même chose pour Laurier : j’ai consulté la collection de microfiches et j’ai trouvé les éditions de plusieurs journaux de cette époque : le Globe and Mail de Toronto (qui s’appelait alors The Globe), le Ottawa Citizen, le Ottawa Journal, le Montreal Star, le Montreal Gazette.

    En les lisant, vous apprenez quel temps il faisait à l’époque, combien coûtait un habit pour homme ou un chapeau pour femme dans les magasins… Les nombreuses publicités nous révèlent ce que les gens achetaient ou vendaient, et quels genres de médicaments étaient en vogue. Vous découvrez ce qui se passait dans d’autres parties du monde, ce qui donne des points de référence très utiles.

    Par exemple, la guerre de Crimée faisait rage dans les années 1850. Le roman que je viens juste de terminer se déroule justement pendant cette guerre. (Pour l’instant, le manuscrit se trouve entre les mains de mon agent. Il s’intitule The Secret History of John A., et j’espère qu’il pourra être publié l’an prochain.)

    Bref, les journaux sont une excellente source pour savoir ce que les Canadiens entendaient et lisaient sur l’actualité internationale à cette époque. Pouvoir ainsi remonter le temps, c’est très précieux. Ça fait partie de notre travail, en tant qu’auteur de romans historiques; et il y a différents outils pour nous aider.

    Par exemple, on peut aller visiter des sites historiques, et les maisons où nos personnages vivaient. J’ai passé beaucoup de temps dans la maison de Laurier, où j’ai campé plusieurs scènes de mon livre. On peut aussi aller consulter les archives de journaux à Bibliothèque et Archives Canada, et faire comme si on lisait le journal du jour en 1891. Ces archives regorgent de trouvailles. Si vous écrivez un roman historique qui parle du Canada, c’est là que vous devez aller faire des recherches!

    GM : Pour en savoir plus sur le fonds sir Wilfrid Laurier à Bibliothèque et Archives Canada, rendez-vous à bac-lac.gc.ca. Pour voir les images associées à ce balado, vous trouverez un lien vers notre album Flickr en vous rendant sur la page web de cet épisode. Et si vous avez aimé cet épisode, vous êtes invité à vous abonner au balado. Vous pouvez le faire par l’entremise d’iTunes, Google Play ou du flux RSS qui se trouve sur notre site web.

    Merci d’avoir été des nôtres. Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada ‒ votre fenêtre sur l’histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Nous remercions tout particulièrement notre invité d’aujourd’hui, M. Roy MacSkimming.

    Pour plus d’information sur nos balados, ou si vous avez des questions, commentaires ou suggestions, visitez-nous à bac-lac.gc.ca/balados.

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