Les livres rares : hors de l’ordinaire

Meaghan Scanlon, bibliothécaire des collections spéciales, tenant dans ses mains un livre rare.

Les mots « livres rares » vous font peut être penser à de vieux livres précieux et difficiles à trouver, mais c’est bien plus que ça! Dans cette émission, Meaghan Scanlon, bibliothécaire des collections spéciales, se joint à nous pour discuter des livres rares et de la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Plutôt modeste à ses débuts, elle est maintenant l’une des meilleures collections d’imprimés rares au pays.

Durée : 16:55

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Date de publication : 23 octobre 2014

  • Transcription d'épisode 15

    Jessica Ouvrard : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Les mots « livres rares » vous font peut être penser à de vieux livres précieux et difficiles à trouver, mais c’est bien plus que ça! Dans cette émission, nous parlerons des livres rares et de la collection de Bibliothèque et Archives Canada : plutôt modeste à ses débuts, elle est maintenant l’une des meilleures collections d’imprimés rares au pays. Meaghan Scanlon, bibliothécaire des collections spéciales à Bibliothèque et Archives Canada, est avec nous pour en parler.

    Bonjour Meaghan, et merci d’avoir accepté notre invitation.

    Meaghan Scanlon : C’est moi qui vous remercie.

    JO : Quelle est l’étendue de la collection de livres rares de Bibliothèque et Archives Canada? Nous avons combien de livres?

    MS : On ne le sait pas exactement, mais on estime qu’il y en a 100 000; alors la collection est grande, mais pas énorme – il y en a de beaucoup plus grandes ailleurs dans le monde. Notre collection est plus petite parce que nous mettons l’accent sur les documents canadiens. Le plus important pour nous, ce sont les documents canadiens d’avant la Confédération. Pour Bibliothèque et Archives Canada, tout ce qui a été imprimé au Canada avant 1867 est un livre rare. Mais nous avons aussi des raretés plus récentes, comme des premiers tirages ou des livres qui proviennent d’une source particulière. À l’intérieur de la collection de livres rares, il y a également de petites collections spéciales qui ont été transmises à Bibliothèque et Archives Canada sous forme de collection. Ce sont parfois des bibliothèques de personnes célèbres comme Mackenzie King; nous avons une assez grande collection de ses livres. Nous avons aussi des livres de Glenn Gould. Certaines collections spéciales sont classées par sujet : nous avons une grande collection de bandes dessinées et de romans en fascicules canadiens, une collection d’éditions des œuvres de Lucy Maud Montgomery et une autre de Stephen Leacock. C’est la base de notre collection.

    JO : Je vois. Comment avons nous acquis ces livres?

    MS : Principalement par des achats et des dons. Nous achetons parfois des livres à des antiquaires. Et par chance, nous recevons aussi des dons de Canadiens qui ont un livre rare, ou de collectionneurs qui ont constitué une grande collection. Au début, notre collection s’est formée grâce à des dons importants. La Bibliothèque nationale a reçu beaucoup de livres rares de la Bibliothèque du Parlement quand elle a été créée. Le gouvernement britannique a fait un don important pour souligner le centenaire du Canada, en 1967, et en 1973, le collectionneur Georges Alphonse Daviault a donné sa collection de 3 000 livres rares sur le Canada. C’est d’ailleurs ce qui a mené à la création de la division des livres rares à la Bibliothèque nationale – c’est comme ça que la collection a commencé.

    JO : Intéressant. C’est quoi, un livre rare? Et qu’est ce qui fait qu’un livre est rare?

    MS : Il n’y a pas vraiment de définition d’un livre rare. Plusieurs qualités peuvent donner de la valeur à un livre et le rendre rare, et la plupart d’entre elles sont un peu subjectives. La plus évidente, celle qui vient à l’esprit quand on pense à un livre rare, c’est l’ancienneté. C’est vrai que les vieux livres sont généralement plus rares. Quand on y pense, pour qu’un livre d’il y a 500 ans se rende jusqu’à nous, ça prend tout un concours de circonstances. En plus, la technologie était limitée il y a 500 ans : c’était beaucoup plus dur de produire des livres, alors ils étaient plus rares à l’époque. L’âge est un facteur relatif, car Gutenberg a inventé la presse à imprimer autour de 1452, mais il n’y a pas eu d’impression au Canada avant 1752. Donc un livre de 1752 est extrêmement vieux au Canada, mais il ne l’est pas tant que ça en Europe.

    L’état du livre est un autre facteur. Un livre qui se décompose, qui a perdu la moitié de ses pages et qui n’a pas de couverture est moins recherché qu’un livre en parfait état. Et il ne faut pas oublier que les livres comprennent parfois des cartes ou des illustrations qui ont une grande valeur en elles mêmes et qui sont parfois retirées d’un livre pour être vendues séparément. Alors si vous êtes malchanceux et que la carte a été enlevée de votre livre, votre bien perd de la valeur.

    Une autre qualité est la rareté. J’ai déjà mentionné que les vieux livres étaient moins nombreux, mais on peut aussi penser aux premiers tirages, qui sont souvent un bon exemple de livres rares, mais récents. Ils sont souvent rares parce que le premier tirage – surtout d’un auteur inconnu – est généralement imprimé en petite quantité : l’éditeur ne voudra pas courir de risque avec un livre qui ne se vendra peut être pas. Harry Potter est un bon exemple. Le premier tirage de la version anglaise du livre Harry Potter à l’école des sorciers était de 500 exemplaires, parce que personne ne savait que cela allait devenir un tel succès.

    Il y a aussi des éditions récentes mais limitées. Par exemple, dans notre collection, nous avons quelques livres imprimés par le bureau d’impression du gouvernement des États Unis à l’intention du président Franklin Roosevelt. Chaque année, à Noël, il faisait imprimer un livre pour le donner à ses amis proches et à ses alliés. Il y en avait généralement 75 ou 100 exemplaires. Ceux que nous avons ont appartenu à Mackenzie King – la provenance, c’est à dire l’historique du livre, son propriétaire, est d’ailleurs un autre facteur de rareté. Un livre qui a appartenu à une personne importante peut valoir beaucoup plus cher que si j’en avais été la propriétaire.

    JO : Vous voulez dire une personne célèbre?

    MS : Oui, célèbre. Par exemple, nous avons une petite collection qui appartenait au général James Wolfe. Les livres eux mêmes ne sont pas si rares, mais les armoiries de Wolfe sont sur la reliure et le général a pris des notes dans certains d’entre eux, ce qui les rend beaucoup plus précieux quand on pense à l’importance de Wolfe dans l’histoire canadienne.

    C’est d’ailleurs la dernière qualité, l’importance. J’ai déjà dit qu’un livre pouvait être important à cause de son propriétaire, mais il peut aussi l’être parce que c’est la première fois qu’une grande découverte scientifique a été publiée, par exemple. L’importance est probablement la qualité la plus subjective, car un livre peut avoir une grande importance pour moi – c’est mon auteur favori, mon livre favori, peu importe –, mais pour vous, ce livre n’a aucune importance. Et il ne faut pas oublier que le marché contribue aussi à rendre un livre rare.

    JO : Pouvez vous nous parler de certains des plus vieux livres de la collection?

    MS : Nous avons 16 incunables, c’est à dire des livres imprimés avant 1501, donc dans les cinquante ans qui ont suivi l’invention de l’imprimerie. Notre plus vieux document est une page de la Bible de Gutenberg. À ma connaissance, il n’y a aucune version complète de cette bible au Canada, alors même si nous avons juste une page, c’est un document important. C’est très intéressant.

    Nous avons aussi un livre imprimé dans les années 1470 qui appartenait à Giorgio Vespucci, l’oncle de l’explorateur Amerigo Vespucci, et qui nous a été donné par le gouvernement britannique en 1967. C’est un autre livre très intéressant. Pour ce qui est des documents canadiens, nous avons un des plus vieux documents imprimés au Canada et qui existe encore : c’est un numéro du Halifax Gazette du 23 mars 1752. Notre plus vieux livre canadien complet est le Catéchisme du diocèse de Sens, un livre catholique imprimé à Québec en 1765.

    JO : Quels sont les livres les plus exceptionnels de la collection?

    MS : La plupart des livres de notre collection sont uniques à cause de leur origine ou des annotations intéressantes qu’ils contiennent, comme le livre qui a appartenu à l’oncle de Vespucci ou ceux de la collection Mackenzie King. Nous avons aussi un certain nombre de livres d’artiste. Le tirage de certains d’entre eux est très limité; il n’y en a que 10 ou 15 exemplaires. Ils ne sont donc pas uniques, mais extrêmement rares. Nous avons aussi des livres dont la reliure unique a été réalisée par un artiste du livre. Dans certains cas, nous avons le seul exemplaire connu d’un ouvrage; c’est le cas du numéro du Halifax Gazette de 1752 dont j’ai parlé. Nous avons aussi une affiche de 1628 intitulée England’s Honour Revived, sur laquelle est imprimée ce qu’on appelait une ballade à quat’sous – une sorte de chanson populaire composée en Angleterre à cette époque. C’est probablement la plus vieille publication en anglais qui porte exclusivement sur le Canada. La chanson parle des frères Kirke, des Britanniques, qui étaient… je ne sais pas comment les appeler…

    JO : Des aventuriers?

    MS : Oui, disons. Des aventuriers qui ont attaqué la Nouvelle France. C’était la première conquête de la Nouvelle France, mais ils ont dû restituer le territoire. C’est un document très intéressant qui a été trouvé dans un autre livre. Je suppose que les imprimeurs et les relieurs, lorsqu’ils faisaient un livre, utilisaient du vieux papier pour renforcer le dos. C’est là que le document a été trouvé; c’est la seule copie connue à ce jour.

    JO : C’est intéressant. Et pouvez vous nous expliquer ce qu’est un livre d’artiste?

    MS : Un livre d’artiste est un livre qui a été créé par un artisan. Certains de ses éléments ressemblent plus à des œuvres d’art. Ces livres peuvent avoir des dessins originaux ou des qualités sculpturales. Le créateur joue avec la forme du livre. Le contenant est inséparable de son contenu, au point où ils forment une seule entité.

    JO : Pourquoi est ce important que Bibliothèque et Archives Canada collectionne les livres rares?

    MS : Une des raisons est le contenu, évidemment. Le contenu est important puisqu’il nous renseigne sur l’histoire du Canada. Nous avons beaucoup de livres sur la découverte et l’exploration du Canada. Je pense que ces documents originaux ont de la valeur, au même titre que les tableaux originaux dans les musées. On ne ressent pas du tout la même chose en voyant un vieux livre d’origine et une reproduction. Les livres en tant qu’artefacts donnent aussi beaucoup d’information. La structure d’un livre et les matériaux utilisés nous en apprennent beaucoup sur la perception des livres par leur propriétaire. Ça nous renseigne sur l’histoire sociale et l’histoire de la lecture, et ça montre comment les gens utilisaient les livres à l’époque. Bien entendu, notre collection d’anciens documents imprimés canadiens témoigne de l’évolution des techniques d’impression et de l’artisanat du livre au Canada. Nous préservons donc aussi le travail des premiers imprimeurs et artisans canadiens qui ont travaillé dans le commerce du livre.

    JO : Comment préservons nous les livres rares?

    MS : Le plus important, c’est qu’ils sont conservés dans une chambre forte sécurisée au Centre de préservation, à Gatineau, dans un environnement strictement contrôlé. La température est maintenue à 18 degrés, et l’humidité relative, à 40 %. Si le taux d’humidité est trop bas, les livres se dessèchent. S’il est trop élevé, il y a des moisissures qu’on veut à tout prix éviter. On surveille aussi la présence d’insectes dans la chambre forte. Les lumières sont posées sur des détecteurs de mouvement. C’est important d’avoir un faible éclairage, parce que la lumière endommage beaucoup le papier. C’est surtout vrai pour le papier à base de pâte de bois, car la lumière et l’acide de la pâte provoquent une réaction chimique. La sécurité fait aussi partie de la préservation. L’accès à nos chambres fortes est restreint. Il n’y a pas de va et vient incessant pour manipuler les livres, ce qui aide à les garder en bon état et à prévenir le vol. Quand nous devons prendre des livres, nous essayons de limiter les manipulations autant que possible. Il faut éviter toute manipulation superflue. En cas de problème, par exemple si un livre commence à s’effriter ou s’il y a de la moisissure, des restaurateurs qualifiés peuvent s’en occuper.

    JO : Quel est votre livre rare favori?

    MS : C’est très difficile de répondre à cette question. Notre collection me fascine : j’ai toujours l’impression de découvrir du nouveau! Un des livres que j’aime beaucoup s’intitule St. Ursula’s Convent. C’est un roman écrit par Julia Catherine Beckwith Hart et qui a été publié en 1824 à Kingston, au Haut Canada. C’est le premier roman écrit par un Canadien et publié au Canada; c’est donc une étape importante. Ce que j’aime de notre exemplaire, c’est la couverture en papier bon marché, sans prétention. On ne penserait jamais que c’est un livre historique, mais il est extrêmement rare. Il n’y a que sept ou huit exemplaires connus. J’aime le montrer à ceux qui viennent dans la chambre forte. Il faut dire que je suis passionnée par la littérature!

    JO : Est il possible de consulter des livres rares?

    MS : Tout à fait. La collection appartient aux Canadiens, donc elle est entièrement accessible. En général, les livres rares sont consultés dans une salle spéciale de notre édifice principal, sur la rue Wellington, à Ottawa. Par contre, nous pouvons demander aux clients de venir consulter les documents les plus précieux au Centre de préservation, pour ne pas avoir à déplacer ceux-ci à Ottawa. Si vous consultez des livres à Ottawa, il faut généralement deux jours ouvrables pour les faire venir de Gatineau. Il faut donc communiquer avec nous à l’avance pour faciliter la vie de tout le monde. Ça évite les déceptions pour vous et c’est plus facile pour nous.

    JO : Où les personnes intéressées peuvent elles se renseigner sur les livres rares?

    MS : Les collectionneurs et les personnes qui aimeraient trouver de l’information sur leurs propres livres peuvent entrer la phrase « your old books » dans un moteur de recherche. Le premier résultat est un site de la section des livres rares et des manuscrits de l’Association américaine des bibliothèques. Ils ont un dépliant intitulé « Your Old Books », qui décrit brièvement ce qu’est un livre rare et explique comment les traiter. C’est un excellent guide pour les débutants. Les personnes intéressées peuvent aussi consulter la page de l’Institut canadien de conservation sur la façon de prendre soin des livres. Il y a beaucoup d’excellents livres sur les livres. Vous pouvez tout simplement faire une recherche sur les livres rares dans le catalogue de la bibliothèque et parcourir les résultats. Un de mes livres favoris s’intitule Books as History, de David Pearson. C’est une espèce de gros document de recherche rempli de photos qui explique pourquoi les livres sont des objets historiques. Un autre livre très connu est le guide pour les collectionneurs ABC for Book Collectors, de John Carter, qui définit de nombreux termes utiles.

    Vous pouvez aussi regarder s’il y a une association de collectionneurs de livres dans votre région. Elle pourrait avoir un site Web qui propose des ressources. Pour chercher de l’information générale sur les livres rares et anciens ou voir des images de livres rares en ligne, vous pouvez aller sur les sites de grandes bibliothèques comme Bibliothèque et Archives Canada et Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ailleurs dans le monde, le site Web de la British Library a beaucoup de contenu et quelques uns de ses trésors sont accessibles en ligne. La Bibliothèque nationale de France a une base de données sur la reliure où l’on trouve beaucoup d’images. Bibliothèque et Archives Canada un album Flickr sur les livres rares. De plus, nous avons une rubrique « Le livre rare du mois » sur Facebook, où nous présentons chaque mois un livre de notre collection. Nous avons aussi une page Web sur notre collection de livres rares. Elle comprend plus d’information sur le contenu de la collection et la manière de consulter nos livres.

    JO : Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation.

    MS : Merci à vous.

    JO : Afin d’en apprendre davantage sur les livres rares et nos ressources littéraires, rendez nous visite en ligne sur le site bac-lac.gc.ca. Sur notre page d’accueil, choisissez « Découvrez la collection », puis cliquez sur « Littérature ». Vous y trouverez des liens vers toutes nos ressources littéraires, dont notre site Web sur la collection de livres rares. N’oubliez pas non plus de consulter notre blogue, ledecoublogue.com, pour découvrir d’autres livres rares et du contenu littéraire. Pour trouver ce contenu rapidement, cliquez sur « Littérature » dans la liste des catégories, à la droite de la page Web.

    Merci d’avoir été des nôtres. Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada — votre fenêtre sur l’histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Je remercie notre invitée d’aujourd’hui, Meaghan Scanlon.

    Pour plus d’information sur nos balados ou si vous avez des questions, commentaires ou suggestions, veuillez nous visiter à www.bac-lac.gc.ca/balados. Un lien vers l’album Flickr sur les livres rares se trouve dans la section « Liens connexes » de cette émission.

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