Un peuple dans l’ombre : La Nation métisse

Photo en noir et blanc de Louis Riel assis devant un bureau, vers 1875

En tant que descendants des Premières Nations et des Européens, les citoyens de la Nation métisse étaient issus de ces deux cultures, mais n’appartenaient pleinement à aucune. Cette appartenance unique a donné naissance à une identité indépendante. Après les résistances métisses de 1869-1870 et de 1885, il est devenu imprudent et même dangereux de s’identifier publiquement comme Métis. Les collectivités métisses ont principalement survécu en restant dans l’ombre, et ce, jusque dans les années 1960.

Dans cette émission, nous présentons une discussion entre William Benoit, chercheur métis de Bibliothèque et Archives Canada, et Janet La France, de la Société historique de Saint-Boniface. Ils parlent de la façon dont leurs institutions respectives aident les personnes à découvrir leurs ancêtres et leur identité.

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Date de publication : 25 février 2016

  • Transcription d'épisode 27

    Jessica Ouvrard : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèle notre collection, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.

    Au 18e siècle, la Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest établirent des postes de traite qui leur permirent de commercer avec les Premières Nations. Cette proximité mena à des mariages et à des unions de fait entre les femmes autochtones et les Européens faisant le commerce des fourrures. Au fil du temps, les descendants de ces unions prirent le nom de Métis.

    En tant que descendants des Premières Nations et des Européens, les citoyens de la Nation métisse étaient issus de ces deux cultures, mais n'appartenaient pleinement à aucune. De cette appartenance unique a émergé l'identité métisse, c'est-à-dire indépendante. Après les résistances métisses de la rivière Rouge (en 1869-1870) et de la Saskatchewan (en 1885), il devint imprudent et même dangereux de s'identifier publiquement comme Métis. Les collectivités métisses survécurent principalement en restant dans l'ombre, et ce, jusque dans les années 1960.

    Aujourd'hui, la Nation métisse est un peuple autochtone reconnu partout dans le monde, dont les droits sont garantis par la Constitution. Les Métis sont les fondateurs du Manitoba et des partenaires de négociation du Canada au sein de la Confédération. À ce titre, ils continuent de jouer un rôle important dans le développement du Canada contemporain.

    Dans cette émission, vous entendrez une discussion entre William Benoit, historien métis de Bibliothèque et Archives Canada, et Janet La France, du Centre du patrimoine de la Société historique de Saint-Boniface. Ils parleront de la façon dont leurs institutions respectives aident les personnes à découvrir leurs ancêtres et leur identité. Écoutons-les d'abord nous raconter comment ils ont découvert qu'ils étaient Métis.

    William Benoit : Alors, Janet, l'une des caractéristiques de cette période où les gens ne s'identifiaient pas comme Métis – dans ma famille, on appelait cette époque « la période sombre », c'est­à­dire la période durant laquelle on ne dévoilait pas nos origines à l'extérieur de notre communauté. On s'identifiait soit comme un Canadien français (si notre nom de famille était français), soit comme un Indien. Je connais même des Manitobains qui se disaient d'origine espagnole ou italienne. Toi, quand as-tu découvert la vérité?

    Janet La France : C'est vrai, oui. Eh bien moi, je l'ai découvert assez tôt. Ma mère – elle est drôle – nous l'a annoncé un peu comme un secret, à ma sœur et moi. Un jour, elle nous a dit tout bonnement : « Oh, en passant, juste pour que vous le sachiez, nous sommes Métis. »

    J'avais environ sept ans à l'époque, alors je ne savais pas vraiment ce que ça voulait dire. J'ai posé la question à ma mère et elle m'a répondu : « Ça veut dire que nous avons des ancêtres autochtones. »Elle nous l'a expliqué très simplement à l'époque; elle n'était probablement pas au courant de toutes les définitions que nous avons aujourd'hui.

    Donc elle a dit : « Ça veut dire que nous avons des ancêtres autochtones, mais n'en parlez pas. » J'ai demandé pourquoi, et elle a répondu : « Eh bien, certaines personnes croient que ce n'est pas une bonne chose. »

    Voilà le secret qu'elle m'a confié à sept ans, et c'est à peu près tout. J'étais en première ou en deuxième année, et je me sentais un peu spéciale : j'avais un secret de famille qui me distinguait des autres. C'est seulement beaucoup plus vieille que j'ai vraiment compris ce que ça voulait dire, et pourquoi c'était négatif pour certaines personnes.

    WB : C'est intéressant. De mon côté, je crois que nous avons toujours été au courant de nos origines métisses; il n'y a pas vraiment eu de moment où on nous a tous réunis pour nous le révéler. C'était plutôt des anecdotes familiales qui venaient renforcer quelque chose que nous ressentions déjà.

    JL : Oui.

    WB : Les trois histoires que je raconte – nous en avons déjà parlé ensemble –, c'est que nous avons toujours désigné mon grand-père paternel comme « un Canadien français »; mais ce n'était jamais « nous, les Canadiens français », même si mon grand-père l'était.

    Mais quand on parlait de Louis Riel et des cousins, on disait « nous, les Métis », ou encore « nos cousins métis »; en termes d'appartenance familiale, ça avait une connotation beaucoup plus inclusive et englobante que dire « Ton grand-père était Canadien français. » J'adorais mon grand-père, mais nous avons toujours su qu'il était Canadien français, et pas Métis.

    Les autres anecdotes dont je me souviens quand j'étais enfant – et pour ceux qui connaissent l'histoire du Manitoba et de la Résistance de la rivière Rouge en 1870 –, c'est que parmi les victimes des combats entre la milice canadienne et les Métis se trouvait Elzéar Goulet, l'un de mes grands-oncles. Et tout au long de mon enfance et jusqu'à l'adolescence, chaque fois que nous passions par l'endroit où Elzéar Goulet s'est noyé dans la rivière Rouge, atteint par des pierres lancées par la milice canadienne, ma grand-mère nous disait : « C'est ici qu'Elzéar Goulet est mort. » Encore là, cette anecdote venait renforcer le fait que nous avions une histoire.

    Puis, plus vieux – et en particulier quand j'ai commencé à travailler auprès des collectivités autochtones –, l'une des choses les plus étranges qui me soient arrivées, c'est que dès qu'on savait que j'étais un descendant des Lagimodière (et donc, un cousin de Riel), on me demandait où était enterré le corps de Thomas Scott.

    JL : Oh! (Rires) Ça c'est drôle!

    JO : Thomas Scott était arpenteur pour le gouvernement du Canada pendant la Résistance de la rivière Rouge. Il était un membre actif du Parti canadien et il s'est opposé fermement au gouvernement provisoire de Louis Riel; il s'est donc fait arrêter plusieurs fois. Son insubordination et son refus de reconnaître la légitimité du gouvernement provisoire ont fini par lui coûter la vie : il a été exécuté en 1870.

    WB : Pour ceux qui n'avaient jamais entendu cette histoire – et on a tous vu l'infâme illustration de l'exécution de Thomas Scott, en 1870 –, voici les faits.

    Mes deux grands-pères ont été chargés de se débarrasser du corps, mais ils devaient garder le lieu de sépulture secret. Donc, à Winnipeg, selon que vous êtes un historien autochtone ou non autochtone, il y a un débat sur l'endroit de la sépulture : est-ce que le corps a été enterré par-dessus un autre corps dans un cimetière? est-ce qu'on l'a jeté dans la rivière Rouge, lesté de roches? Bref, ce genre d'histoires. J'ai toujours été fasciné par le fait que de purs inconnus nous abordent en disant : « Alors, savez-vous où se trouve le corps de Thomas Scott? » C'est là que j'ai pris conscience de ma différence.

    JL : Mmm.

    WB : Tu as dit quelque chose d'intéressant tout à l'heure à propos du fait que c'était un secret.

    JL : Oui.

    WB : Quand as-tu commencé à partager ton secret?

    JL : Ah oui. J'ai commencé à dévoiler mon secret quand j'étais adolescente – durant cette période où, tu sais, on n'écoute plus nos parents! J'étais une adolescente et je savais tout, je commençais à me rebeller et à vouloir me distinguer.

    Je crois que la raison pour laquelle j'ai mis tout ce temps, entre l'âge de sept ans et l'adolescence, pour révéler ces choses, c'est que mon père est Canadien français et que nous nous identifiions beaucoup aux communautés franco-canadienne et franco-manitobaine. Et aussi parce que ma mère a subi une sorte de… disons de racisme, appelons-le comme ça, de la part de mes grands-parents paternels quand mon père a demandé ma mère en mariage. Et ce n'est pas qu'ils savaient qu'elle était métisse : ils l'ont simplement présumé parce qu'elle était originaire de Saint-Norbert.

    Donc, probablement un peu en réaction à l'expérience vécue par ma mère, et aussi parce qu'elle m'avait demandé de garder le secret, je n'en ai pas parlé jusqu'à ce que j'atteigne l'adolescence. Et lorsque j'ai commencé à le dire, j'ai eu toutes sortes de réactions. Certains ont répondu « Oh, moi aussi! »; c'était merveilleux, parce qu'un sentiment de camaraderie s'installait tout de suite. D'autres répondaient : « Les Métis? C'est quoi ça? Ça n'existe pas. »

    WB : C'est intéressant parce que ça me rappelle cette sorte d'échanges que nous avions souvent, quand j'étais enfant et adolescent, sur nos éventuels liens de parenté. Cela me manque un peu de ne pas vivre ça ici, à Ottawa.

    JL : Mmm, oui, plusieurs collectivités au Manitoba font ça, mais c'est vraiment quelque chose que font les Métis ou les Canadiens français lorsqu'ils rencontrent quelqu'un : ils vont se demander « C'est quoi ton nom de famille? », ou « C'est quoi le nom de famille de ta mère? », ou « Connais-tu telle famille de telle ville? », et on découvre quels liens nous unissent.

    WB : Aujourd'hui, quand tu dis que tu es métisse, ou que quelqu'un te demande si tu es métisse, que leur réponds-tu? Maintenant que tu es adulte et que tu as passé cette étape où tu voulais exprimer ton individualité et t'affranchir du secret de ta mère, que leur dis-tu?

    JL : Eh bien, je suis simplement tout à fait honnête et je leur dis que je suis métisse. Parfois ça entraîne des questions, d'autres fois non. J'évalue en quelque sorte mon interlocuteur, et si je sens qu'il est curieux et veut en savoir plus, j'entame la discussion et je lui dis, par exemple, ce qu'est un Métis ou comment se définit un Métis de nos jours. Mais d'habitude, les gens se contentent d'un « oui » ou d'un « non » comme réponse. Certaines personnes manifestent du mépris; je n'ai pas de temps à perdre avec elles.

    WB : Je crois que l'aspect positif, c'est que notre génération a la capacité, peut-être, de s'affranchir de ça; je ne parlerais pas de honte ou de malaise par rapport à nos liens avec ces événements. Au lieu de voir nos gestes comme une réaction au non-respect des droits des minorités, nous avons toujours été perçus comme des rebelles, des parias, des ratés même, pour être vraiment cynique ­– ­je crois que c'est la meilleure façon de l'illustrer.

    De nos jours, ce que les gens pourraient trouver intéressant, c'est de savoir que nos emplois (le tien dans un centre d'archives régional, et le mien, à Bibliothèque et Archives Canada, dans une institution nationale) sont différents tout en se complétant, en ce sens que nous essayons d'aider des personnes à découvrir leur identité métisse – leur « métissité », si je peux m'exprimer ainsi.

    JL : J'utilise parfois ce mot moi aussi. Je ne sais pas s'il existe, mais je m'en sers tout le temps.

    WB : On va appeler ça un « Janetisme ».

    JL : D'accord! (Rires)

    WB : Veux-tu parler de ton travail au Manitoba, puis je parlerai des services que nous offrons?

    JL : Bien sûr. Je peux te donner un aperçu des services que nous offrons à la clientèle autochtone. Donc, les gens viennent surtout nous voir pour établir leur généalogie, faire une recherche sur leurs ancêtres et déterminer s'ils ont un ancêtre métis; à partir de documents originaux qu'ils présentent à la fédération provinciale des Métis dans leur localité (comme un document généalogique ou un autre document original), celle-ci leur délivrera une carte de Métis. La majorité de nos clients viennent parce qu'ils veulent obtenir une carte de Métis.

    Donc, les services que nous offrons sont très personnalisés. Nous rencontrons les clients, nous les aidons à préparer les documents, nous leur demandons des copies de leur carte d'identité avec photo et de leur certificat de naissance ou de baptême, puis nous leur posons des questions.

    Parfois, les résultats sont décevants; même si certaines personnes sont très proches de leur famille et savent spontanément les réponses, d'autres ne peuvent même pas nommer leur grand-mère parce qu'ils l'ont toujours appelée grand-maman. Alors, nous leur demandons par exemple le nom de leur mère, sa date de naissance, l'endroit où elle est née, et ainsi de suite jusqu'aux grands-parents au moins.

    À partir de là, nous commençons nos recherches pour essayer de vérifier ces informations dans des documents originaux ou d'autres documents. Si un client me dit que sa grand-mère est décédée en 1980 et qu'il pense qu'elle est née en 1901, alors nous rechercherons une notice nécrologique pour vérifier ce fait, nous éplucherons les formulaires de recensement pour confirmer sa date de naissance, nous chercherons dans les documents de l'état civil, nous fouillerons les registres de baptême… Et lorsque nous trouvons l'information, nous pouvons remonter à ses parents, puis à ses grands-parents et à ses arrière-grands-parents, et ainsi de suite jusqu'au sommet de l'arbre généalogique. On peut alors chercher s'il y a un ancêtre métis. Habituellement, on peut prouver l'ascendance métisse grâce à un certificat, un dossier de recensement – ou parfois une note dans le registre d'un commerçant de fourrures, ou un dossier paroissial sur les baptêmes, les mariages ou les funérailles, dans lequel le prêtre mentionne l'origine métisse d'une personne.

    En tout cas, quand nous avons regroupé toutes ces informations, nous rappelons le client pour qu'il vienne chercher son arbre généalogique. Celui-ci peut ensuite aller de l'avant et présenter une demande de carte de Métis auprès de la Fédération des Métis du Manitoba. Bien entendu, il y a des bureaux affiliés dans la majorité des provinces de l'Ouest.

    WB : Excellent. Si quelqu'un fait faire ce travail à l'un des centres de généalogie – ou s'il a fait ses propres recherches –, s'il a obtenu l'information de vous, il y aura une indication du genre « aucun ancêtre métis trouvé pour Mme Unetelle », et l'affaire est réglée?

    JL : C'est ça. Si aucun ancêtre métis n'a été trouvé, on l'indique. S'il y en a un, on joint le document qui le prouve.

    WB : Intéressant. Tu as mentionné des certificats…

    JL : Oui, ils sont extrêmement utiles.

    WB : Peux-tu expliquer brièvement à quoi ils servaient?

    JL : Oui. Les certificats étaient une réclamation que pouvaient remplir les chefs de famille métis pour eux-mêmes ou pour leurs enfants en vue d'obtenir une parcelle de terrain ou de l'argent. La première commission à ce sujet a eu lieu en 1874-1875, je crois, et plusieurs autres commissions ont eu lieu par la suite, jusque dans les débuts des années 1900.

    Ce qui est intéressant pour nous, c'est que ces certificats comportent le nom des personnes, la date et le lieu de leur naissance, et les noms et l'appartenance ethnique de leurs parents. Par exemple, « Louis Larivière, fils de Louis Larivière, Canadien français, et de Mary Lambert, Métisse » – tout cela figurerait sur le certificat. C'est donc une très bonne source; une sorte de document officiel du gouvernement, rempli par une personne admissible à recevoir une terre ou de l'argent, lorsque cela a été autorisé.

    WB : Par simple curiosité, donnais-tu l'exemple de tes arrière-grands-parents?

    JL : Non, il n'y a pas de Larivière dans mon arbre généalogique.

    WB : D'accord, ce n'était qu'un exemple, j'étais curieux.

    JL : Oui, je vois souvent des Larivière. Il y a beaucoup de descendants de cette famille à Saint-Malo; ils semblent tous avoir ces ancêtres en commun. C'est le premier nom de famille qui m'est venu à l'esprit. Mes ancêtres sont les Charrette et les Gosselin de Saint-Norbert.

    WB : Excellent. Excuse-moi, tu sais que je suis toujours curieux!

    JL : Mais non, je comprends tout à fait et je suis aussi curieuse que toi! Ça peut sembler impoli de passer son temps à essayer de trouver des liens et des connaissances. Mais quand on fait partie du groupe, je crois que c'est quelque chose qu'on comprend.

    WB : Exactement. Je t'ai demandé tout à l'heure quels étaient les services offerts par votre institution et les autres institutions régionales du Canada. À l'échelle nationale, Bibliothèque et Archives Canada est reconnu pour fournir certains des documents « importants », comme des certificats que tu as mentionnés tout à l'heure, qui sont cruciaux pour identifier les Métis du Nord-Ouest.

    JL : Tout à fait. Je consulte tous les jours votre base de données sur les certificats des Métis.

    WB : Voilà, elle est accessible en ligne, et certaines bibliothèques canadiennes plus anciennes l'ont aussi sur microfilm.

    JL : C'est exact. Nous avons aussi sur microfilms les publications en série des certificats métis. Mais nous n'avons pas les bobines « T », alors quand votre base de données y renvoie, je n'y ai pas accès. Si c'est une bobine « C », elle a peut-être déjà été numérisée, ou nous l'avons ici. C'est comme ça que nous y avons accès. Je consulte aussi la base de données du Ralliement national des Métis parce qu'elle contient plusieurs certificats qui ne sont pas numérisés à Bibliothèque et Archives Canada.

    WB : C'est vrai. Nous possédons aussi un document que je n'ai pas mentionné – enfin toi, tu en as parlé : les dossiers du recensement du Canada. C'est bien sûr le gouvernement du Canada qui conserve les données des recensements, et elles sont essentielles à l'étude des Métis. J'en profite pour souligner que certains recensements sont mieux réalisés que d'autres.

    JL : Absolument!

    WB : Les formulaires de recensement contiennent des informations sur les Métis; la majorité des personnes faisant des recherches sur l'histoire des Métis consultent ceux du Recensement de 1901 parce qu'on y classe les personnes par couleur : rouge, blanc, noir et jaune. Ainsi, pour un même nom de famille, on peut facilement distinguer la famille métisse de la famille canadienne-française si elle a coché « R » pour rouge, au lieu de « B » pour blanc. Aussi, on y recense les groupes tribaux ou l'ethnicité en tenant compte de la mixité. Donc, une personne pourrait être désignée comme étant de race française, anglaise, écossaise ou « bungee »; est-ce que j'en oublie? Il y avait la catégorie « Autre race »?

    JL : Oui, « Autre race », et j'ai aussi vu « Race noire ».

    WB : « Race noire », c'est intéressant. Et pour ceux qui ne le savaient pas, les documents gouvernementaux anglais du 19e siècle désignaient les Métis comme des « Half-breeds » [Sangs-mêlés], sans faire la distinction entre les Métis anglophones généralement protestants, qu'on appelait dans les Prairies les « Country-born » [Anglo-Métis], et les Métis traditionnellement français et catholiques de la collectivité.

    JL : En effet, la documentation là-dessus est un vrai méli-mélo. Pour revenir aux termes du recensement, j'ai également vu « MS » pour désigner « Métis Français » . Je crois que ça dépend du niveau d'aisance du recenseur dans la langue de communication, parce que j'ai vu par exemple des individus ayant de toute évidence des origines à la fois écossaises, anglaises et métisses, mais désignés comme Métis par un prêtre dans un document français. À l'inverse, j'ai aussi vu des Métis francophones être désignés « Half-breeds » [Sangs-mêlés] parce que le recenseur était anglophone.

    WB : C'est un point très intéressant! Aussi, selon l'époque, certaines personnes étaient désignées Métis ou « Half-breed » dans un formulaire de recensement, et dans le recensement suivant, elles étaient désignées Canadiens français ou d'ethnicité anglaise. Certaines années, c'était plus pertinent d'inscrire Métis ou Première Nation, ou encore, Blanc, Français ou Anglais. Donc, on se heurte parfois à des problèmes avec les différents recensements.

    Un autre outil nous aide, non pas sur le plan de l'ethnicité, mais plutôt pour les recherches : c'est ce que nous appelons les listes d'électeurs. J'invite les Canadiens à consulter ces listes. Dans le service de généalogie de Bibliothèque et Archives Canada, nous avons des documents qui nous permettent de localiser nos ancêtres à l'aide de ces listes – de connaître, par exemple, leur adresse et leur admissibilité à voter dans une collectivité en particulier, disons en 1950. Cela vous aide à savoir si vous cherchez votre famille au bon endroit.

    Ces listes peuvent nous dire, par exemple, que M. Untel habite sur la rue X dans la collectivité Y. Mais il n'y a aucune indication sur l'ethnicité; et conformément aux façons de faire de l'époque, les épouses prennent le nom de leur mari; leur vrai nom ne figure nulle part.

    JL : Non [rires] et ça complique un peu plus l'identification des familles. Personnellement, j'ai utilisé les listes d'électeurs dans le passé, et aussi les répertoires d'Henderson, et ils se ressemblent en ce sens qu'ils vous aident, par exemple, à localiser une famille et à connaître le nombre de personnes qui la composent. Mais ce n'est pas l'idéal si vous cherchez l'identité ethnique ou culturelle d'une personne, n'est-ce pas?

    WB : Tout à fait d'accord. Une autre chose que j'ai oublié de mentionner à propos de Bibliothèque et Archives Canada, c'est que dans l'Ouest canadien, nous n'avons généralement pas de registres paroissiaux – de statistiques de l'état civil – parce que celles-ci relèvent des provinces. Ils sont par exemple à Regina, à Thunder Bay (pour l'Ontario), et ainsi de suite partout au pays. Donc, à quelques exceptions près, nous ne pouvons pas compter sur des registres des églises pour les régions dans l'Ouest du Canada.

    Mais nous avons beaucoup d'informations contextuelles, ce qui je pense, est presque aussi bon pour quelqu'un qui a passé l'étape de l'arbre généalogique (« Le nom de mon père est… Mes grands-parents se nomment… », etc.) Si vous en êtes à l'étape de découvrir les Métis dans leur contexte, je vous invite à consulter les nombreuses ressources de Bibliothèque et Archives Canada : des cartes, des plans de villes, des cartes des terres riveraines appartenant aux Métis dans l'Ouest canadien, des photos, des œuvres d'art… Tous ces éléments illustrent la vie d'une collectivité.

    JL : Absolument!

    WB : J'aimerais vanter les mérites d'une autre institution culturelle ayant la même vocation que nous dans l'Ouest : l'Institut Gabriel-Dumont, en Saskatchewan. Son site est très bien fait; on y mentionne notamment qu'il possède une liste de toutes les femmes qui ont vécu en Saskatchewan à l'époque de la Résistance de 1885. Donc, la liste recense les femmes à Batoche; elle n'est pas nécessairement utile du point de vue de l'arbre généalogique (ma grand-mère est née à cette date, mes grands-oncles se trouvaient là, etc.)

    JL : Oui, on délaisse la généalogie pour entrer dans les histoires familiales.

    WB : C'est ça. Les gens peuvent découvrir, que ce soit en classe ou à la maison, dans quelle collectivité leurs ancêtres se trouvaient, par exemple, ou encore comment vivaient les femmes et les enfants dans cette collectivité, durant cette période historique jugée plutôt inintéressante par plusieurs. J'ai pris l'exemple de l'Institut Gabriel-Dumont pour illustrer comment nous pouvons compléter le travail des organismes régionaux.

    JL : Mmm, oui, c'est vrai que l'Institut Gabriel-Dumont a un excellent site Web; je l'ai visité plusieurs fois. Selon moi, c'est une ressource très utile, parce que nous n'avons pas les ressources ni le personnel nécessaires pour offrir aux gens des histoires sur leur famille.

    On fait de la généalogie, n'est-ce pas? Comme nous le disions, il y a une différence entre les deux. Je crois que la partie des histoires familiales – c'est-à-dire enrichir l'arbre généalogique avec des anecdotes, des détails comme le genre de maison dans laquelle vivaient nos ancêtres, le nombre de têtes de bétail qu'ils possédaient, ce genre de choses –, c'est quelque chose que les gens font par amour; et j'encourage mes clients à approfondir leurs recherches de leur côté, une fois qu'ils ont eu l'information de base sur leurs ancêtres, à l'aide de ressources comme l'Institut Gabriel-Dumont et Bibliothèque et Archives Canada, et même les archives de la Compagnie de la Baie d'Hudson.

    WB : Te souviens-tu d'une requête généalogique qui t'a particulièrement touchée et dont tu aimerais nous parler?

    JL : Oui, j'en ai une. C'est arrivé au début de mon emploi ici, et j'y pense encore. Pour les personnes dans la même situation que ma cliente à l'époque, la situation a changé sur le plan juridique et leur facilite grandement les choses. Donc, une jeune femme était venue au centre en ne sachant pratiquement rien sur sa famille; elle avait été confiée de manière permanente aux Services à l'enfance du Manitoba. Elle savait le nom de sa mère biologique, mais ne l'avait jamais rencontrée.

    C'était un processus très difficile pour cette jeune femme. Nous ne pouvions pas lui bâtir un arbre généalogique sans certaines informations de base. Même si elle avait été confiée en permanence aux Services à l'enfance, séparée des membres de sa famille et sans contact avec eux, elle a eu l'immense courage et la force de prendre contact avec sa mère biologique et sa grand-mère maternelle pour obtenir ces informations.

    Ces informations étaient incomplètes, mais suffisantes pour que nous puissions lui bâtir un bon arbre généalogique. Elle descendait d'ancêtres ojibwés et cris, et de plusieurs familles métisses. Quand nous lui avons remis son arbre, elle a éclaté en sanglots en déclarant : « Je n'ai jamais su qui j'étais vraiment avant aujourd'hui ». Cette histoire m'habite encore, et elle me montre toute l'importance qu'ont l'identité et le sentiment d'appartenance.

    WB : C'est intéressant à quel point ce secret que ta mère vous a confié, à toi et ta sœur, a entraîné une série d'événements qui t'ont fait grandir; on oublie que d'autres personnes n'ont pas cette chance.

    JL : Tout à fait. Je ne sais pas comment je me serais sentie si j'avais grandi en ne sachant rien de mes racines. Je me demande comment on se sent dans ces situations-là. Donc, j'étais vraiment heureuse de pouvoir l'aider; et comme je le disais, les lois ont changé au Manitoba, de sorte qu'il est beaucoup plus facile maintenant d'avoir accès aux dossiers d'adoption – et donc, pour les enfants adoptés, de faire des recherches sur leurs parents biologiques. Je ne crois donc pas que je revivrai une situation comme celle-là, et c'est probablement pour le mieux.

    WB : Mon expérience ressemble beaucoup à la tienne, et je dirais qu'un thème commun les relie : c'est l'émotion provoquée par ce que nous réalisons pour ces personnes.

    JO : Au début de sa carrière, William occupait un emploi à la Société historique de Saint-Boniface, à Winnipeg, là où travaille Janet. Il raconte l'histoire d'un jeune couple, venu à la Société historique pour découvrir si la jeune femme avait des origines métisses.
    WB : Je ne sais pas si je l'ai mentionné, mais j'ai déjà occupé le même emploi que Janet. Un jour, un jeune homme entre avec sa compagne, et quand celle-ci repart (pour aller à la banque ou pour aller chercher à manger, ou quelque chose comme ça), il reste là à attendre; alors je lui demande ce qu'il cherche. Ça peut paraître étrange, car j'avais l'impression qu'ils étaient là pour la jeune femme.

    Donc, je dois décrire ce jeune homme : il avait tout à fait l'allure d'un Néerlandais, sauf qu'il avait des cheveux extrêmement raides. Je ne veux pas me lancer dans les stéréotypes sur l'ethnicité, mais c'est un trait courant chez les Canadiens d'origine autochtone. Il m'a demandé si je faisais la généalogie des Néerlandais, ce à quoi j'ai répondu par la négative. L'organisation où travaille Janet se spécialise dans les familles canadiennes­françaises et métisses du Manitoba et de la Saskatchewan. Je lui ai alors demandé si je pouvais quand même l'aider, et il m'a répondu : « J'ai une arrière-grand-mère dont je ne suis pas autorisé à parler. »

    JL : Oh!

    WB : Oui, ça a été ma réaction aussi. Je lui ai alors demandé ce qu'il savait à son sujet, et il m'a répondu ceci : « Quand j'étais enfant, je me souviens d'avoir vu une découpure des années 1930 ou 1950, je ne me souviens plus. On y disait qu'une pionnière était décédée et qu'elle était la dernière enfant née à la rivière Rouge avant la prise de contrôle du territoire par le Canada, en 1870. »

    JL : C'est intéressant.

    WB : Les quelques parcelles d'informations qu'on possède, on les garde précieusement; alors il se souvenait de son prénom. Je lui ai demandé d'où elle venait. Pour ceux qui ne le savent pas, l'un des forts qui existent encore au Manitoba se nomme Lower Fort Gary, juste au nord du centre-ville [de Winnipeg]; et au fil de nos recherches, nous avons découvert qu'effectivement, cette personne était la dernière née dans la paroisse de St. Andrews (où se trouve le fort) quelques jours avant sa prise de contrôle par le Canada en 1870. J'ai alors pu lui produire une moitié d'arbre généalogique, si l'on peut dire, puisque nous ne faisions pas de recherches sur ses origines néerlandaises; mais cette moitié nous avait permis de mettre au jour une solide famille anglo-métisse.

    JL : C'est excellent.

    WB : Quand je lui ai remis son arbre, je me souviens que ce grand gaillard tremblait un peu et sanglotait en contemplant son document. Pour ma part, j'ai des sentiments mitigés, parce que j'ai cru comprendre qu'il a montré ce document à sa famille; et le lendemain, j'ai reçu un appel de la grand-­mère me disant que je n'avais pas le droit de donner cette information à son petit-fils.

    JL : Mon Dieu!

    WB : Je ne sais pas si tu as déjà vécu cette situation. Je constate qu'en tant que membres de ce groupe qui a cherché tellement longtemps à assurer sa sécurité, nous ne voulions pas parler de nos origines ni de notre ethnicité métisses avec le monde extérieur. Aujourd'hui, le petit-fils possède ce document et il peut demander une carte.

    À mon avis, les choses n'ont pas changé – c'est-à-dire que cet homme peut s'identifier comme Métis et avoir sa carte, mais si la grand-mère veut continuer de se déclarer d'ascendance écossaise, elle peut le faire, n'est-ce pas Janet? Le fait qu'il ait sa carte n'influence pas l'identité de la grand-mère ni la façon dont elle s'identifie?

    JL : Exact, c'est une démarche personnelle. Il faut faire une demande pour avoir une carte; on ne l'obtient pas automatiquement parce qu'un petit-fils en a demandé une. Donc, tant que cette femme voudra s'identifier comme Canadienne d'origine écossaise et qu'elle le fera sur les formulaires de recensement et partout ailleurs, elle en a tout à fait le droit; c'est une question de perception de sa propre identité. Même si on a retracé des origines métisses dans sa famille et que d'autres membres décident de s'y identifier, cette grand-mère n'est pas obligée de faire la même chose.

    WB : Je me souviens du dilemme. Je suis quelqu'un de plutôt émotif; les larmes me viennent aux yeux quand j'y repense. Pour ma part, je peux en retirer autant de la satisfaction que de la frustration, parce que je me dis : « Bon, cette personne n'a pas obtenu ce qu'elle cherchait aujourd'hui » ou, au contraire, « Le point de vue de cette personne a complètement changé grâce à la généalogie. »

    C'est difficile à expliquer. Ici, à Ottawa, j'ai passé plusieurs jours à me demander comment je pourrais l'exprimer, et le mieux que j'ai pu trouver, c'est ceci : une personne qui fait des recherches sur ses ancêtres autochtones se lance en fait dans une quête sur soi pour prendre en main sa destinée. Qui suis-je? Et quelle est ma place dans la société canadienne?

    JL : Oui.

    WB : Parfois, c'est pour des programmes du gouvernement. D'autres fois, c'est simplement parce que les grands-parents n'en parlaient jamais. Mon exemple du jeune Canadien d'origine néerlandaise, avec ses trois grands-parents néerlandais et sa grand-mère écossaise dont ils ne parlaient pas, c'était le morceau manquant du casse-tête.

    C'est intéressant de connaître tous ses grands-parents, et je suis le premier à vous inviter à faire des recherches généalogiques. En même temps, je garde à l'esprit que pour les origines autochtones, c'est aussi une question de contrôle de sa destinée. Cette personne peut alors marcher la tête plus haute, ou encore comprendre pourquoi la famille éprouvait telle ou telle difficulté. Mais je suis désolé, je t'ai interrompu.

    JL : Non, c'est plutôt moi qui t'ai interrompu. Désolée! Je crois que tu veux faire valoir qu'en révélant l'existence d'ancêtres autochtones, la généalogie permet de valider certaines choses par rapport à soi-­même; et cette confirmation nous rend fiers et nous donne un sentiment de reconnaissance. Tellement d'Autochtones ont vécu ce combat, simplement pour être reconnus et savoir qui ils sont!

    JO : Pour en savoir plus sur la Nation métisse, les Premières Nations et les Inuits, vous pouvez consulter notre portail sur le patrimoine autochtone; vous le trouverez sous la rubrique « Thèmes populaires » de notre page d'accueil, au bac-lac.gc.ca. Pour obtenir des services du Centre du patrimoine de la Société historique de Saint-Boniface, consultez son site Web au shsb.mb.ca.

    Jusqu'au 22 avril 2016, Bibliothèque et Archives Canada présente l'exposition Un peuple dans l'ombre : À la découverte de la Nation métisse dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. L'exposition trace le portrait de la Nation métisse au moyen de photographies et d'œuvres d'art tirées de la collection de BAC. Pour en savoir plus, visitez notre site Web au bac-lac.gc.ca.

    Pour voir les images associées à ce balado, dont plusieurs sont tirées de l'exposition, rendez-vous au bac-lac.gc.ca/balados et suivez le lien vers notre album Flickr.

    Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire », une fenêtre sur l'histoire, la littérature et la culture canadiennes. Je remercie nos invités aujourd'hui, William Benoit et Janet La France.

    Pour plus d'information sur nos balados ou si vous avez des questions, des commentaires ou des suggestions, visitez-nous à bac-lac.gc.ca/balados.

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