Transcription d'épisode 24
Jessica Ouvrard : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.
Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe en coulisses quand nous préparons une exposition avec le Musée des beaux-arts du Canada? Depuis 2013, dans le cadre d'un partenariat, le Musée expose des articles de notre collection. Aujourd'hui, nous allons parler de notre plus récente collaboration : une exposition du Musée mettant en vedette 15 daguerréotypes rares qui remontent aux tout débuts de la photographie. Pour en discuter, nous avons avec nous la conservatrice Jennifer Roger et la restauratrice en chef des documents photographiques Tania Passafiume, toutes deux de Bibliothèque et Archives Canada.
Mais précisons d'abord que c'est à Louis Jacques Mandé Daguerre qu'on doit l'invention du daguerréotype, en 1839. Comme c'était le premier procédé photographique annoncé publiquement, on peut imaginer l'excitation que ça a provoqué!
Cette nouvelle technique permettait d'obtenir des photos avec un niveau de détail inégalé. Même si plusieurs procédés photographiques ont été inventés à la même époque, peu donnaient des résultats ayant autant de profondeur et de clarté. Les daguerréotypes étaient un vrai plaisir pour les yeux. Réalisés sur une surface d'argent finement polie, ils étaient souvent colorés à la main et présentés dans un joli boîtier. Encore aujourd'hui, plusieurs photographes spécialisés privilégient la daguerréotypie à d'autres procédés, malgré les nombreuses difficultés qu'elle comporte.
Pour voir les images dont nous allons parler, y compris les daguerréotypes de l'exposition, et pour jeter un coup d'œil sur le travail de conservation fait en coulisses, consultez notre album Flickr. Vous pouvez y accéder directement à partir du
bac-lac.gc.ca/balados.
Bonjour Jennifer et Tania! Merci d'être ici aujourd'hui. Si j'ai bien compris, Bibliothèque et Archives Canada a conclu un partenariat avec le Musée des beaux-arts du Canada, qui va exposer des articles de notre collection. Jennifer, pouvez-vous nous expliquer comment s'est conclu ce partenariat?
Jennifer Roger : Bien sûr. Bibliothèque et Archives Canada cherche toujours des façons de présenter ses collections au public. Un bon moyen pour y arriver consiste à trouver des institutions partenaires, qui préparent elles-mêmes des expositions mettant en vedette des objets de notre collection, ou qui nous prêtent leurs locaux pour que nous puissions joindre un plus grand public. Aujourd'hui, nous sommes ravis d'être associés à une institution d'importance comme le Musée des beaux-arts du Canada. C'est vraiment excitant de pouvoir partager les articles de notre collection avec les gens qui fréquentent le Musée.
JO : Quelles expositions ont été organisées avec le Musée des beaux-arts du Canada jusqu'à maintenant?
JR : L'exposition sur les daguerréotypes sera la sixième. Bibliothèque et Archives Canada et le Musée avaient déjà organisé cinq expositions sur d'autres thèmes : des images de l'Arctique au tournant du 20e siècle, des photos d'exploration du 19e siècle, les premières photos de Terre-Neuve, un panorama photo des villes canadiennes au 19e siècle, et des photos canadiennes de voyage, aussi du 19e siècle.
Nous préparons avec beaucoup d'enthousiasme la nouvelle exposition,
Miroirs riches en souvenirs, qui présente des daguerréotypes – le tout premier procédé photo accessible au public. Les daguerréotypes sont des objets du 19e siècle très rarement exposés. En fait, c'est la première exposition aussi importante du genre au Canada.
JO : J'imagine, dans ce cas, que peu de gens connaissent le terme « daguerréotype ». Tania, pouvez-vous nous expliquer ce que c'est?
Tania Passafiume : Le daguerréotype est un des premiers procédés photographiques qui a été utilisé à l'intérieur d'un appareil photo. Il est fait d'une plaque de cuivre recouverte d'argent. C'est un procédé positif direct, sans négatif. Le mot « daguerréotype » peut sembler bizarre, mais il est en fait dérivé du nom d'un de ses inventeurs, M. Daguerre.
JO : D'accord. Jennifer, pouvez-vous nous dire quels objets sont présentés dans l'exposition?
JR : Certainement. Nous en avons choisi 15. Parmi les daguerréotypes que les gens pourront voir, il y a des portraits de gens connus et inconnus, des scènes de rue et des paysages. Ils remontent presque tous au 19e siècle, mais nous avons aussi inclus un daguerréotype contemporain, car le procédé est encore utilisé par un petit nombre de photographes. Les visiteurs pourront aussi voir un magnifique appareil à daguerréotype d'époque.
JO : Sur quels critères vous êtes-vous fondées pour choisir les articles qui allaient faire partie de l'exposition?
JR : Pour les daguerréotypes, nous avons choisi ce que nous pensions être les exemples les plus représentatifs de notre collection, en tenant compte de la diversité des sujets et des formats. Nous voulions des œuvres en bon état, car les daguerréotypes se détériorent facilement, et on les voit moins bien quand les dommages sont trop importants. Nous avons choisi des photos de personnes dont l'histoire nous semblait intéressante, ou encore des photos qui illustrent un événement marquant de l'histoire canadienne. Nous avons aussi inclus un médaillon, car il montre bien l'importance personnelle que les gens accordaient aux daguerréotypes, et la façon dont ils portaient, regardaient et chérissaient ces objets uniques.
JO : Quels sont vos objets préférés parmi tous ceux exposés? Tania, Jennifer?
TP : J'en ai trois, et ce sont toutes des photos de femmes. Sur la première, on voit une femme non identifiée qui porte un ruban des Premières Nations et un châle. Ce que j'aime de ce portrait, ce sont toutes les nuances des couleurs ajoutées à la main : le foulard est vert, les bijoux sont dorés, et son bras repose sur une petite…
JO : … table d'appoint.
TP : Table d'appoint, merci. Son visage est calme, serein, vraiment très beau. La deuxième photo a un petit quelque chose d'amusant, je trouve. Je l'aime beaucoup. C'est le portrait de Kate McDougall, et on peut voir la grande lassitude sur son visage – on l'entend presque penser « Ah, si cette séance de daguerréotype peut finir… ». J'aime aussi beaucoup sa robe à pois qui découvre ses épaules. Son bras repose sur une petite table, et elle tient dans sa main quelque chose de vraiment intrigant. Comme je dois examiner les images au microscope, j'ai la chance de voir des petits détails qui sont difficiles à déceler à l'œil nu; donc, dans la main qui repose sur la table, elle tient une carte, comme une carte de visite peut-être. Elle porte aussi un superbe médaillon; quand Jennifer et moi avons examiné l'image de plus près au microscope, nous voulions vraiment savoir ce qu'il y avait dessus, tu te rappelles, Jennifer? Nous l'avons donc examiné au microscope, et finalement ce n'était pas un motif en particulier, même si j'avais cru au départ y voir un oiseau ou quelque chose d'autre.
JR : Ce n'était pas facile de deviner.
TP : Ce n'était pas facile, même avec le microscope. Pour revenir à mes images préférées, la dernière représente trois jeunes dames. Au microscope, et même sans microscope, on peut voir que leurs joues sont légèrement teintées de rose. Chacune porte à son cou un magnifique ruban rouge, et l'un d'eux est orné d'un médaillon; c'est un tout petit détail, mais on le voit clairement au microscope. C'est un ange avec une trompette, vraiment splendide. C'est un peu la raison pour laquelle j'aime tellement ces portraits : pour tout ce qui y est dissimulé.
JO : La beauté cachée…
TP : … de tous ces petits détails.
JO : Oui.
JR : C'est vraiment difficile de choisir juste quelques photos : elles sont toutes exceptionnelles! Pour ma part, quelques-unes ont aussi retenu mon attention. J'adore le portrait, teint à la main, du charpentier canadien. Il a été pris autour de 1850; on y voit un homme qui tient un marteau. Ce portrait appartenait à lord Elgin, gouverneur de l'Amérique du Nord britannique de 1847 à 1854. L'homme sur la photo était son charpentier pendant qu'il séjournait à Québec.
J'aime aussi beaucoup un portrait du 19e siècle où l'on voit neuf hommes : des marchands, des hommes d'affaires et des dirigeants municipaux de la Nouvelle-Écosse. Il est magnifique! Les portraits de groupe en format daguerréotype sont rares. Celui-ci est d'autant plus extraordinaire qu'il est accompagné d'un manuscrit, qui était inséré dans le cadre et qui donne le nom des hommes sur la photo, le lieu et le nom du photographe. Il date de 1855, et je suis toujours fascinée de voir des objets anciens en aussi bon état, quand on pense à toutes les mains par lesquelles ils sont passés. Je suis impressionnée que cette petite note manuscrite nous soit parvenue intacte après toutes ces années.
TP : Pour revenir au daguerréotype du charpentier, qu'on a aussi examiné au microscope, l'homme sur la photo porte un magnifique veston. Ça ne se voit pas vraiment à l'œil nu, mais le veston est d'une teinte pourpre, vraiment magnifique.
JR : Oui.
TP : J'ai trouvé cela très spécial. Et le portrait des Néo-Écossais est vraiment intéressant. Comme je suis restauratrice, j'ai pu voir qu'il avait déjà subi un traitement auparavant. J'ai vu plusieurs daguerréotypes dans ma carrière, et je peux détecter s'il y en a un qui est différent. Quand j'ai vu ce portrait pour la première fois, j'ai remarqué que la plaque avait quelque chose d'étrange. J'ai vérifié dans les archives et j'ai constaté que le portrait avait déjà été traité et légèrement modifié. Mais ça reste un objet d'une grande beauté.
JR : En effet, ils ont tous une superbe allure.
JO : C'est intéressant de connaître l'histoire d'un objet, et de réaliser que vous pouvez voir qu'il a déjà été traité. Puisque nous parlons de traitement, est-ce que certains des objets de l'exposition avaient besoin d'être restaurés?
TP : Oui, plusieurs! Il y avait beaucoup de problèmes de détérioration du verre, et aussi de la moisissure et de la ternissure, car les plaques sont recouvertes d'argent, et l'argent ternit quand il est en contact avec l'air.
JO : Donc, de quel genre de traitement parlons-nous?
TP : Pour cette exposition, et pour ces daguerréotypes en particulier, j'ai nettoyé le verre. Le verre est un matériau qui peut se détériorer à différents degrés. Dans un premier temps, il devient trouble. S'il peut facilement être nettoyé, c'est ce que je fais; je réutilise donc le verre original. Je trouve important de conserver les éléments originaux.
Quand la détérioration est plus avancée, on voit des gouttelettes et des craquelures à la surface du verre, comme dans le portrait de Kate McDougall. Le phénomène est étonnant; on dirait que le verre transpire. Le problème, c'est que les gouttelettes sont formées d'une substance alcaline qui peut tomber sur la plaque (le daguerréotype) et l'endommager. Le seul moyen d'y remédier, c'est de fabriquer une solution aqueuse. Heureusement, je n'ai pas eu à le faire, mais j'ai remplacé le verre d'origine par du verre borosilicaté.
Finalement, certains portraits n'étaient plus scellés, alors je les ai scellés de nouveau avec des matériaux de préservation modernes.
JO : Pour que l'œuvre ne soit pas en contact avec l'air? C'est bien ça?
TP : Oui, je vous explique le principe. Un daguerréotype est fait de plusieurs éléments. Vous avez d'abord une plaque de cuivre, qui a été enduite d'une émulsion d'argent ou trempée dans l'argent. Elle est ensuite exposée à de la vapeur d'iode dans une boîte fermée; l'interaction avec l'iode augmente sa sensibilité. Puis elle est ensuite placée dans un appareil photo et exposée. Quand on retire la plaque de l'appareil, l'image est latente : on ne peut pas la voir tout de suite. Il faut exposer la plaque à de la vapeur de mercure pour que l'image apparaisse. On doit ensuite fixer l'image et la virer à l'or.
Mais comme la plaque est recouverte d'argent, elle ternit, comme n'importe quel objet en argent. À l'époque, on savait déjà – Louis Daguerre savait – que c'était un problème, alors on scellait l'image avec du ruban en papier. On recouvrait d'abord la plaque d'un passe-partout en laiton, puis d'un verre, et on scellait le tout. Ensuite, on ajoutait un préservateur, en laiton lui aussi, qui aidait à garder les pièces ensemble. Finalement, on plaçait le tout dans un boîtier.
Tout cela remonte à longtemps, et c'est très rare maintenant de trouver un daguerréotype d'époque encore scellé. Pour les 15 daguerréotypes de l'exposition, la bande scellante d'origine avait été remplacée ou il n'y en avait pas du tout, parce qu'elle avait été enlevée ou abîmée. C'était donc vraiment important de bien sceller le tout encore une fois, pour éviter que le daguerréotype ne ternisse.
Il y avait aussi de la moisissure sur certaines œuvres. Ça peut paraître surprenant de trouver de la moisissure sur un daguerréotype, mais oui, ça existe et il y en avait pas mal! Normalement, j'aurais appliqué un traitement aqueux sur les plaques moisies, mais comme elles avaient été teintes à la main, c'était hors de question. J'ai plutôt utilisé un pinceau dont j'ai coupé les soies pour n'en laisser qu'une ou deux, et au microscope, j'ai balayé les images avec une soufflette nettoyante. Mais ce traitement n'a pas bien fonctionné; la moisissure semblait adhérer à la plaque, alors on la voit, comme de petits fils fixés sur la plaque.
JO : Avez-vous fait d'autres découvertes intéressantes pendant que vous traitiez les objets?
TP: Tout à fait! J'ai eu mes plus belles surprises quand j'ai commencé à ouvrir les daguerréotypes. Par exemple, j'ai vu des marques sur les plaques. D'habitude, elles sont derrière le cadre en laiton, dans les coins ou sur les bords; ce sont différents symboles accompagnés du chiffre 40, qui ont été faits par la personne qui a fabriqué la plaque – pas le photographe, mais la personne qui a fabriqué la plaque. Toutes ces marques sont datées et vous pouvez en retracer l'histoire. On en trouve sur plusieurs plaques fabriquées en France. Et c'est utile de connaître l'âge de la plaque, car vous pouvez alors deviner l'âge approximatif du daguerréotype.
JO : Et pour les plaques sans dates, et anonymes…
TP : On peut quand même établir que telle plaque a surtout été utilisée au cours de telle période, donc la date est un bonus, en quelque sorte. J'ai aussi trouvé une empreinte digitale, ce qui était vraiment fantastique. Elle était cachée sous la plaque de l'incendie de la brasserie Molson, n'est-ce pas?
JR : Oui.
TP : Malheureusement, on ne peut pas la voir à cause du cadre en laiton, mais au-dessus des cheminées, dans le coin en haut à gauche, il y a une petite empreinte, probablement celle du photographe ou de son assistant. C'est une découverte plutôt sympathique.
JO : La petite touche humaine.
TP: Oui, la touche humaine.
JO : Pouvez-vous nous en dire plus sur la collection de daguerréotypes qui se trouve ici, à Bibliothèque et Archives Canada? Combien d'articles compte-t-elle?
JR : Notre collection compte environ 260 objets. Il y a surtout des portraits, dont certains de personnalités canadiennes intéressantes, comme sir John A. Macdonald, Archibald McDonald (le négociant en chef de la Compagnie de la Baie d'Hudson), Louis-Joseph Papineau et le chef ojibwé Maungwudaus; son portrait date de 1846 environ. Pour nous, c'est une œuvre importante, car en plus d'être magnifique, c'est le plus ancien portrait connu d'un Autochtone dans notre collection.
Le portrait de sir John A. Macdonald est bien sûr très spécial, non seulement parce que c'est celui d'un ancien premier ministre, mais aussi parce que l'objet en soi est intéressant. C'est un médaillon où l'on trouve des portraits de sir John A., de son épouse Isabella et de son premier fils. Il y a trois daguerréotypes dans ce médaillon, et ils sont tous merveilleux.
Et pour moi, l'image des vestiges de la brasserie Molson, cette œuvre sur laquelle Tania a trouvé une empreinte, est assez fantastique. La photo a été prise en 1858. Il fallait tout de même être chanceux pour saisir un tel événement au moyen d'un daguerréotype.
JO : En effet, il n'y avait probablement pas beaucoup de reproduction de paysages ou de grands bâtiments.
JR : Exactement, ils sont difficiles à trouver. Saisir sur une plaque un seul événement marquant est un exploit en soi. Je dois aussi parler du daguerréotype sur la fête de la Saint-Jean, une autre œuvre marquante. C'est une image fantastique, teinte à la main, qui montre quatre garçons costumés en différentes personnalités évoquant la relation entre la France et la Nouvelle-France. C'est un tailleur montréalais qui avait commandé ce daguerréotype, et on le voit aussi dans le portrait.
Ce qui est particulier avec cet objet, outre sa grande qualité et le niveau de détails, c'est que nous en sachions autant à son sujet. Nous connaissons son histoire, sa provenance et la raison pour laquelle il a été commandé : c'était en l'honneur de la fête nationale du Québec, et l'image a été présentée au capitaine d'un navire arrivé à Québec le jour de la fête nationale de la France, en 1855.
JO : Le jour de la fête nationale de la France, ou le jour de la Saint-Jean-Baptiste?
JR : Le jour de la fête nationale de la France. Le capitaine a été chargé de rapporter le daguerréotype en France pour le présenter à la royauté française. Mais le daguerréotype
est revenu au Canada en 1984, en guise de cadeau de la part d'un descendant du capitaine. C'est une charmante histoire.
JO : Donc, le daguerréotype a traversé l'océan dans les deux sens?
JR : Oui, il est allé en France et est revenu ici. C'est quand même une histoire intéressante.
TP : La peinture, aussi, est superbe quand on la voit au microscope. Les couleurs, le jaune – on peut voir les traits de pinceau et tout le travail de détail dans le rouge; c'est un daguerréotype tout en couleurs. Il est vraiment, vraiment exceptionnel. C'est une œuvre magnifique.
JO : Savons-nous comment Bibliothèque et Archives Canada a acquis les daguerréotypes dans sa collection?
JR : C'est une combinaison d'achats et de dons. Parfois, les daguerréotypes faisaient partie d'un fonds plus vaste ou d'une collection personnelle, mais la plupart sont ici parce qu'ils racontent, d'une certaine manière, l'histoire du Canada et des gens qui en ont fait partie.
JO : Est-ce que le public peut consulter la collection?
JR : Oui, absolument. Les chercheurs ont accès à toute la collection. Comme les daguerréotypes sont fragiles, ils doivent être conservés au Centre de préservation, à Gatineau. Comme pour le reste de la collection, les gens sont invités à prendre rendez-vous pour une consultation; ils peuvent venir et voir tout ce qu'ils veulent dans nos installations.
JO : Je présume que Tania reste avec eux pendant la consultation?
TP : [rires] Je voudrais bien! Je voudrais bien avoir le temps de tous les rencontrer.
JO : Vous avez mentionné que certains photographes contemporains utilisent encore la technique du daguerréotype. Est-ce courant? Qui sont-ils?
TP : C'est assez courant de nos jours. Un certain nombre de photographes au Canada ont recours à cette technique, et je suis certaine que partout dans le monde, chaque pays a son daguerréotypiste.
Je crois que le plus gros obstacle, pour ceux qui veulent essayer cette technique, c'est de trouver l'équipement nécessaire. À l'époque où tout ça a commencé, on pouvait se procurer l'appareil photo, le livre, les plaques déjà préparées, et même les outils pour l'exposition aux vapeurs d'iode et de mercure. Maintenant, il faut trouver tout ça, même les boîtiers (nous en montrons un dans l'exposition), mais ça n'existe pas en trousse prête à utiliser comme autrefois, alors que vous pouviez acheter la trousse complète; c'est impossible aujourd'hui. Il y a des gens qui en fabriquent, d'autres qui vendent les appareils à vapeur, il faut trouver les plaques et les préparer… Il faut aussi fabriquer les boîtiers. Mais plusieurs artistes contemporains travaillent avec le daguerréotype et produisent des œuvres magnifiques.
JO : La technique semble tellement toxique : de la vapeur de mercure…
TP : Oui, je l'ai déjà utilisée dans un environnement contrôlé – pas ici, mais ailleurs, sous supervision. Je crois que c'est un des éléments qui jouent en sa défaveur. Il y a une autre technique, la méthode Becquerel, qui ne nécessite pas l'utilisation de vapeur de mercure, mais seulement du verre teinté. C'est M. Becquerel qui l'a inventée juste après 1840, après que les daguerréotypes ont commencé à être connus.
À l'œil, c'est difficile de dire laquelle des deux techniques a été utilisée (celle au mercure ou celle de Becquerel); les deux donnent des résultats équivalents. Mais je pense que plusieurs daguerréotypistes aujourd'hui préfèrent le procédé d'origine; ils veulent le mercure, ils veulent le vrai procédé.
JO : Je les comprends. Tant qu'à reproduire un procédé historique…
TP : Oui, aussi bien le faire comme il faut. Et je respecte ça. Je connais quelqu'un qui se promène avec son appareil pour le mercure accroché derrière sa camionnette. Il peut aller n'importe où et faire des daguerréotypes, même si ça nécessite toute une installation (une chambre noire, tout l'équipement), et puis qui veut de la vapeur de mercure dans son immeuble?
JO : Personne.
TP: Personne. C'est aussi pour ça que les daguerréotypes sont rares et précieux : ce sont toujours des pièces uniques. Comme je disais, ils ne ressemblent pas aux daguerréotypes contemporains. Les œuvres contemporaines ont une touche différente, qui tient probablement à la qualité de la plaque. Bien sûr, les daguerréotypes vieillissent, et on voit tout de suite que les nouvelles plaques ne sont pas ternies ou usées.
JO : C'est vraiment intéressant de considérer les objets et les archives de notre collection comme des œuvres d'art. Pourquoi est-ce ainsi, selon vous?
TP : Oui, c'est très intéressant. Nous avons beaucoup d'œuvres d'art et de documents d'archives dans notre collection. Des conservateurs du Musée des beaux-arts du Canada sont venus pour préparer l'exposition, comme s'ils travaillaient ici, à l'interne. C'est comme ça pour toutes les expositions avec le Musée. En tant que restauratrice, je trouve que c'est une expérience très enrichissante. Je prépare les objets, je les place dans leur cadre, je discute avec les conservateurs et ils me donnent leur avis sur l'allure qu'ils veulent donner à l'exposition en général et à chaque pièce en particulier.
Ce qui est intéressant, aussi, c'est que les conservateurs du Musée veulent montrer les pièces sous toutes leurs coutures; ils veulent qu'on voie toutes les composantes, et la façon dont elles sont assemblées. Alors que moi, en tant que restauratrice, je suis plus réticente : les pièces ne sont pas toujours en bon état, certaines auraient besoin d'un traitement en profondeur, mais seront simplement exposées telles quelles, en tant que pièces d'archives. Mais quand ce sont nos propres conservateurs qui montrent des œuvres, ils ne mettent pas l'accent sur ses différentes composantes; ils présentent plutôt l'image dans toute sa beauté, comme une véritable œuvre d'art.
JO : La manière de concevoir les choses est différente.
TP : C'est comme ça que je le vois, en tant que restauratrice. Je trouve cette dynamique tout à fait fascinante. Jennifer, vous avez un autre point de vue en tant que conservatrice?
JR : Justement, j'allais dire que la frontière entre œuvre d'art et document d'archives est plutôt mince, surtout quand on parle de photo; il y a une zone grise. Plusieurs photos de notre collection sont classées comme documents d'archives. Mais de nos jours, les grandes institutions dans le monde reconnaissent les photos documentaires comme étant aussi des œuvres d'art. Par exemple, des études en conservation considèrent que les daguerréotypes sont beaucoup plus que de simples portraits studio : ils sont aussi une œuvre de composition, influencée par les tendances et les styles des œuvres de l'époque.
Donc, malgré tout ce qu'on sait aujourd'hui sur la manipulation des images et des appareils, on continue souvent de voir la photo comme une façon de reproduire fidèlement des personnes ou des scènes. On retrouve aussi cette zone grise avec les anciens procédés : les œuvres d'époque recèlent beaucoup plus de secrets qu'on le croit. À mes yeux, la photo documentaire capte des moments qui nous racontent ce que les gens d'alors pensaient, et comment ils concevaient et comprenaient le monde? C'est ce que fait toute œuvre d'art, et je crois que cette zone grise est tout à fait acceptable.
JO : L'exposition
Miroirs riches en souvenirs : Daguerréotypes de Bibliothèque et Archives Canada est présentée au Musée des beaux-arts du Canada jusqu'au 28 février 2016. Pour en savoir plus, visitez le site Web
beaux-arts.ca. Consultez aussi notre album Flickr pour voir plusieurs des daguerréotypes en vedette et pour lire un compte rendu sur la préparation de l'exposition. Enfin, lisez notre
Découblogue pour en savoir plus sur le monde de la photo : il suffit de cliquer sur « Photographie » dans la liste de catégories à droite de l'écran.
Merci d'avoir été des nôtres. Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada ‒ votre fenêtre sur l'histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Je remercie nos invitées d'aujourd'hui, Jennifer Roger et Tania Passafiume.
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