Transcription d'épisode 41
Geneviève Morin (GM) : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors que recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.
Alors que le Canada fête ses 150 ans à titre de nation, nous nous remémorons le passé avec beaucoup de fierté, mais également en posant un regard critique sur les erreurs qui ont été commises et sur les injustices qui n’ont pas été réparées. Dans cet épisode, nous avons fait équipe avec le Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH, pour parler de l’avenir du Canada et pour examiner l’histoire de façon à ce que cela puisse nous aider à prendre des décisions éclairées dans l’avenir.
Nous nous entretenons avec M. Chad Gaffield, un historien de renom et ancien président du CRSH, qui a récemment été nommé à l’Ordre du Canada pour son travail novateur dans les sciences humaines numériques. Nous avons également discuté de leurs recherches avec un certain nombre d’universitaires et de chercheurs des quatre coins du pays qui ont reçu des fonds du CRSH. Nous leur avons posé une question en apparence toute simple : « Dans votre vision de l’avenir, comment vos recherches enrichiront-elles la vie des Canadiens et des générations futures? » À notre surprise, de nombreux thèmes communs se sont dégagés de ce groupe hétérogène d’érudits sur les façons positives d’aller de l’avant.
Notre rencontre avec M. Gaffield s’est amorcée par un coup d’œil sur certains des rares documents originaux et artefacts présentés dans le cadre de l’exposition
Qui sommes-nous? Cette exposition – à l’affiche à Ottawa jusqu’en mars 2018 – s’intéresse à l’idée qu’on se faisait jadis de ce qu’est le Canada et de ce que cela signifie qu’être canadien, le tout dans l’optique de la vaste collection de Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Vous pourrez entendre une partie de cette conversation plus tard dans l’épisode. Mais d’abord, nous voulions avoir une idée de ce qu’est le CRSH.
Bonjour, M. Gaffield. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.
Chad Gaffield (CG) : Je vous en prie.
GM : Pourriez-vous nous parler du mandat du CRSH?
CG : Le CRSH est l’organisme fédéral de financement qui soutient l’étude des gens. Et aujourd’hui, tout le monde sait que les gens sont au cœur du succès des entreprises, des communautés, des sociétés, mais le fait est que nous en avons beaucoup à apprendre. Donc, le CRSH finance des étudiants diplômés, puis des projets de recherche, pour nous permettre de vraiment mieux connaître et comprendre tous les aspects du passé.
GM : Dans un monde sans cesse préoccupé par les impératifs financiers, quels arguments peut-on présenter en faveur des sciences humaines et sociales?
CG : L’un des aspects les plus intéressants, je pense, des réflexions récentes au sujet des impératifs financiers est d’avoir découvert qu’ils recèlent, en fait, de nombreuses facettes. Ce que nous savons de plus en plus, c’est qu’il faut comptabiliser simultanément toutes sortes de composantes – sociales, culturelles, politiques, économiques, démographiques, etc. –, tout simplement parce qu’elles sont interreliées.
Et à mon avis, si les sciences sociales et humaines sont à ce point importantes, c’est qu’elles étudient les gens, qui sont, au bout du compte, l’âme de toute société. Et les technologies sont importantes pourvu qu’elles aient un lien avec les gens. Notre santé dépend autant de types précis de composants chimiques que de nos interactions sociales, et ainsi de suite. Alors, je pense qu’une des choses que nous comprenons maintenant, c’est que tous les mécanismes du savoir – qu’il s’agisse de comprendre comment les particules, ou comment les gens, interagissent –, bref, qu’en fin de compte, tout cela fait partie d’un ensemble, d’une unicité. Et je pense que le fait de combiner, de conjuguer, les réflexions provenant de ces différents types d’éclairages et de méthodes nous permet de mieux comprendre cette complexité et aussi de mieux saisir l’ampleur de tout ce qu’il nous faut encore apprendre.
GM : Voici notre première chercheuse financée par le CRSH, Elissa Gurman, titulaire d’un doctorat en littérature anglaise de l’Université de Toronto.
Elissa Gurman (EG) : Mes recherches portent sur les romans du XIXe siècle. Je m’intéresse très précisément à la façon dont ces romans dépeignent les femmes qui tombent amoureuses. Si souvent, dès que je leur dis que je fais un doctorat en littérature anglaise et que j’étudie le XIXe siècle, les gens me regardent de cet air impassible qui semble vouloir dire que je perds carrément mon temps, mais je pense que c’est loin d’être le cas. Je pense sincèrement que mes travaux – et ceux d’une foule de chercheurs explorant des recoins sans doute obscurs aux yeux du Canadien moyen – sont véritablement importants et d’actualité.
Alors, spécifiquement, quand j’étudie ces histoires d’amour, je m’intéresse aux questions touchant le consentement. Je soutiens que c’est au XIXe siècle qu’est née cette façon de voir l’amour – cette façon moderne de voir l’amour. Et qu’à force d’être dite et redite de toutes sortes de façons depuis des siècles, cette histoire d’amour en est devenue ce mythe presque moderne, cette histoire fondamentale qui influence beaucoup la façon dont les gens s’imaginent leur vie et dont les femmes, en particulier, définissent les gens. Elle en est presque devenue le mythe central de la figure féminine du monde moderne.
Dans ma thèse, donc, je me penche sur une étape, disons, vraiment importante de la genèse de ce mythe en me posant la question suivante : « À quoi ressemble l’amour pour ces personnages féminins et quel effet cette représentation de l’amour a-t-elle sur les notions du contentement et du choix? » Et ce que j’ai découvert, c’est que cette vision idéalisée de l’amour et de la passion s’accompagne presque toujours de ce sentiment étrange et intense qui rend presque impossible tout choix et consentement rationnel.
Alors, comment, à mon avis, ce genre de travail influencera-t-il les gens dans l’avenir? Eh bien, de deux façons. Je pense qu’une des plus grandes leçons à tirer de mon projet est l’un des grands enseignements des études littéraires en général. C’est l’idée que les histoires comptent. La façon dont nous parlons de nous-mêmes, la façon dont nous parlons des personnages dans les récits, a un effet sur ce que nous pensons du monde et sur notre manière d’agir dans le monde. L’espoir que j’ai, c’est que mes recherches amènent les gens à faire preuve d’un plus grand esprit critique lorsqu’ils regardent un film ou une émission de télévision, lisent un livre ou devinent qu’une trame narrative à l’essai s’engage dans des sentiers battus, qu’ils se demandent, en fait, pourquoi ce genre d’intrigues ne cesse de nous captiver encore et encore. De quels genres d’histoires s’agit-il? Peut-il en émerger qui soient différentes? Puis-je changer cette trame narrative? Puis-je la critiquer? Bref, j’espère qu’un des effets de mes recherches sur les gens sera de les amener à se poser des questions et à jeter un regard critique sur les histoires qui structurent leur vie.
Dans ma vision de l’avenir, j’aimerais que les décisions soient prises et que les politiques soient élaborées avec l’aide d’équipes de recherche interdisciplinaire. J’ai donc fait tout ce travail sur le consentement légal dans l’histoire, sur la représentation des femmes dans les moments sexuels et leur consentement ou non à ceux-ci. J’aimerais faire partie d’un genre d’équipe où je collaborerais avec des enseignants, avec des responsables des politiques, avec des psychologues, bref avec des gens de tous les horizons qui étudient le consentement, où je réfléchirais aux différents moyens de montrer aux jeunes à donner et à demander le consentement et aux différentes façons dont nous pourrions nous y prendre pour définir le consentement, parce que je pense que notre définition actuelle ne nous rend pas vraiment service.
Alors je pense que mes recherches pourront aider les gens de bien des façons dans l’avenir, du moins je l’espère. Et j’espère avoir la chance de poursuivre mes recherches, car ces questions – même après avoir maintenant terminé ma thèse – continuent à m’intéresser et m’apparaissent encore dynamiques et importantes.
GM : Ian Mauro est un cinéaste de renommée internationale et professeur agrégé au département de géographie de l’Université de Winnipeg.
Ian Mauro (IM) : Vous savez, quand je pense à mes recherches, je dois être prudent. Je pense que la recherche est un outil tellement important pour comprendre les tendances actuelles, les tendances passées et les tendances futures, toutes à la fois, et j’espère que cela nous aide à aller dans la bonne direction d’une certaine manière, mais je ne veux pas être arrogant. Je ne veux pas dire que mes recherches vont changer l’avenir ou nous mener dans la bonne direction, car je ne pense pas que nous puissions le savoir.
Je pense que la recherche met en lumière certains types d’activités et certaines possibilités, et la possibilité de créer un réseau d’idées qui fonctionnent ensemble est, je crois, vraiment très importante. C’est ce qui explique le genre d’interconnexions entre de nombreux universitaires et la façon dont cela est lié aux politiques et enrichit notre capacité de penser et d’envisager l’avenir de la bonne façon, de faire attention à la Terre, d’interagir respectueusement avec les humains et de créer des occasions pour nos enfants d’avoir une vie meilleure. Je pense que c’est possible et que la recherche n’en est qu’une partie, alors je veux faire attention de ne pas dire que ma recherche va changer le monde.
Mais en ce qui concerne le genre de travail que je fais, je m’intéresse beaucoup à l’expérience humaine. Je m’intéresse à ce que la vie des gens nous dit sur où nous en sommes et, de façon générale, je travaille dans le domaine des changements environnementaux. J’ai examiné les changements en agriculture, les changements en technologie et en agriculture, les changements en sécurité alimentaire et dans les systèmes alimentaires pour les gens et, plus récemment et depuis un certain nombre d’années maintenant, les changements climatiques. Il est donc très important de parler aux gens de ce qui se passe sur le territoire et de ce qu’ils vivent à l’heure actuelle parce qu’il est si important de leur parler, de comprendre ce qui se passe dans le contexte d’une vie humaine et d’écouter ces voix parce qu’elles ont tant de choses à dire, tant d’information, tant de connaissances à transmettre.
Et alors, si l’on revient à cette idée d’arrogance, des experts et chercheurs – oui, nous avons beaucoup de connaissances. Mais je pense que les connaissances enracinées dans l’expérience des gens qui vivent différents types d’expériences forment une puissante combinaison.
GM : Robin MacEwan possède une maîtrise en travail social de l’Université Carleton et œuvre actuellement à titre de travailleuse sociale à la tutelle. Inspirée par le temps qu’elle a passé dans le système des foyers d’accueil, Robin a fait sa thèse de maîtrise sur les limites du réseau de soutien social des enfants en foyer d’accueil et l’expérience des adolescents qui perdent ce réseau de soutien lorsqu’ils quittent le système en raison de leur âge. Comme Ian, elle trouve qu’il est important de pouvoir lier la recherche universitaire aux problèmes de la vraie vie.
Robin MacEwan (RM) : Vous savez, il est très facile de critiquer un système lorsqu’on travaille à l’extérieur de celui-ci. Et même dans mon travail, quand j’étais en Colombie-Britannique, par exemple dans les foyers de groupe, puis en gestion de cas à essayer de trouver des enfants, je ne travaillais pas en plein dedans comme je le fais maintenant. Et, quand j’y suis entrée après mes recherches, j’avais l’impression d’avoir plein d’idées de solutions, vous savez? J’étais très enthousiaste. Et j’ai l’impression qu’elles sont là et qu’il y a des gens – il y a des gens qui pensent comme moi et qui sont très heureux de décortiquer ces problèmes et de trouver des solutions créatives.
Mais en même temps, j’ai l’impression de me battre par-dessus tout dans mon propre système. Une si grande partie de mon travail de défense se fait au sein du système de protection de l’enfance et auprès d’autres professionnels. Et je me rends compte qu’il était naïf de ma part de penser que je pouvais simplement arriver et voir les choses avec un regard neuf. Les gens font cela depuis longtemps et ont essayé beaucoup de choses créatives. Mais en ce qui concerne la prestation de services et les services offerts aux jeunes et aux enfants pris en charge, le processus est très lent. Alors, j’ai des personnes qui pensent comme moi de mon côté, mais je me rends compte que la partie la plus difficile, c’est vraiment de se battre au sein du système, de constamment intervenir auprès des cadres supérieurs en haut, des cadres supérieurs au ministère et des membres de la collectivité pour essayer d’offrir à ces enfants les relations et l’encadrement nécessaires pour leur donner la meilleure chance de réussir.
Alors, oui. Je trouve que j’ai de bonnes bases. J’ai obtenu à peu près les meilleurs résultats que je pouvais attendre de mes recherches, mais j’en ai beaucoup plus à apprendre sur la prestation de services et sur les tractations politiques à cet égard. Il y a très peu de volonté politique de changer le système pour les enfants pris en charge. Et je suppose que c’est là-dessus que je me concentre, en quelque sorte : comment obtenir de l’appui et créer cette volonté politique pour ces enfants? Comment faire pour que les gens se soucient de ces enfants, vous savez? Je ne sais pas.
Alors, je pars de là et j’essaie. Je suis bien placée pour le faire, mais je me rends compte que c’est extrêmement plus complexe que je le croyais.
GM : Zoe Todd est professeure adjointe d’anthropologie à l’Université Carleton. Ses travaux portent en grande partie sur l’intersection entre le savoir traditionnel autochtone et la science. Elle parle aussi de la valeur de la collaboration et de la recherche interdisciplinaire.
Zoe Todd (ZT) : Vous savez, je crois vraiment que les épistémologies et les ontologies autochtones et la praxis autochtone ont beaucoup de choses importantes à dire sur les paradigmes scientifiques euro-occidentaux, et qu’il se déroule des conversations vraiment riches en ce moment. Et tellement de gens, tous extraordinaires, comme Kim TallBear et d’autres universitaires autochtones – Leroy Little Bear, par exemple – travaillent à cette interface entre la science et le savoir autochtone. Je pense qu’il est vraiment important pour nous de prendre le temps d’avoir ces conversations. Et ma tante Loretta Todd vient de lancer une émission scientifique pour enfants à APTN, où elle célèbre explicitement cette relation entre le savoir autochtone et la science. Donc, oui, je pense qu’il est important pour nous de trouver des façons de tenir des conversations entre les disciplines, entre les établissements où ces connaissances différentes pourraient être hébergées ou archivées.
Et je suis vraiment emballée par notre projet actuel, qui est financé par le CRSH. Nous avons reçu une subvention de synthèse des connaissances. Vous savez, nous examinons dans quelle mesure les scientifiques ont compris ou non les perceptions autochtones de l’extinction, ce qui veut dire qu’une grande partie de ce que nous faisons consiste à parcourir et à lire des articles scientifiques sur la diminution des populations, sur différentes questions environnementales dans l’ensemble du Canada. Donc, même si nous nous inscrivons explicitement dans les disciplines des sciences sociales, il nous faut certaines connaissances scientifiques pour bien faire ce projet. C’est pourquoi je pense que ces moments où nous réunissons de multiples systèmes de connaissances et expériences sont vraiment importants. Je crois qu’il est essentiel pour nous d’avoir un éventail de compétences à proposer.
Alors, j’adore la science. Je n’étais pas une très bonne scientifique, mais j’adore lire des articles scientifiques, j’adore être entourée de scientifiques et prêter attention à la façon dont ils voient le monde. Je pense en effet qu’il est vraiment important de reconnaître en quelque sorte qu’ils ont une vision et une approche particulières du monde à offrir et que cela a de la valeur, tout comme en ont les sciences humaines, le droit et la médecine – toutes ces autres disciplines.
GM : Audrey-Kristel Barbeau est professeure au département de musique de l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches explorent en quoi l’apprentissage d’un instrument de musique peut avoir des avantages physiques, psychologiques et sociaux pour les personnes de plus de 60 ans. Dans ses travaux, elle a constaté les avantages de l’apprentissage intergénérationnel.
Audrey-Kristel Barbeau (A-KB): Moi, je considère que malheureusement on ne prend pas soin de nos personnes âgées. Elles sont un peu en marge de la société, on les ignore, elles sont placées dans des centres et puis on les laisse comme ça, alors qu’elles ont une foule d’expérience et de compétence à nous amener encore. Et puis malheureusement, elles ne sont plus écoutées; plus elles vieillissent, on dirait, plus elles perdent cette place-là importante qu’elles devraient encore avoir dans la société.
Alors, pour moi ce qui est important c’est non seulement de leur offrir des opportunités pour qu’elles continuent à sentir qu’elles ont un but dans la vie, qu’elles peuvent contribuer, mais aussi de briser ce stéréotype-là de la personne âgée qui malheureusement parfois va être considérée un peu sénile alors que ce n’est tellement pas vrai. Et pour briser ce stéréotype-là, puis briser la — comment je pourrais dire — la séparation qui se passe entre les différentes générations, mon but c’est vraiment d’essayer de faire collaborer plusieurs générations ensemble.
Puis ça, c’est ce que j’ai commencé aussi avec mon projet l’Harmonie nouveaux horizons de Montréal. Donc, la façon dont je l’ai fait fonctionner c’est qu’on a des gens plus âgés qui s’inscrivent pour apprendre la musique. Mais on a aussi des étudiants dans l’enseignement de la musique au niveau du baccalauréat qui viennent consolider leur capacité à enseigner; leurs habiletés de futurs enseignants amènent cette harmonie-là. Et grâce à ça, c'est qu’on met deux générations ensemble qui peuvent supporter l’une et l’autre, les jeunes qui apprennent à enseigner et les plus âgés qui reçoivent cet enseignement, mais aussi peuvent donner du feedback ou une rétroaction à ces étudiants-là pour qu’ils continuent à améliorer leur pratique.
Alors, moi c’est comme ça que je vois la façon dont on peut essayer de garder les personnes âgées intégrées à notre société, puis à démontrer que les jeunes ont non seulement quelque chose à donner à cette population-là, mais qu’ils peuvent recevoir encore énormément.
J’ai écrit d’ailleurs un chapitre de livre là-dessous sur les avantages de l’apprentissage par le service communautaire ou l’implication communautaire. En anglais, on l’appelle le
service learning. Et les étudiants, dans le fond, quand on les a passés en entrevue, ce qu’ils nous ont rapporté, c’est vraiment le sentiment de respect mutuel et de support qu’ils ont trouvé avec des gens qui avaient vraiment à cœur le développement [professionnel] et qui même voulaient aller au-delà. Ils les aidaient encore plus à s’améliorer. Donc, on a eu des réactions tellement positives des deux côtés sur les deux générations.
Les plus vieux nous disaient que la jeune génération leur a ramené un dynamisme et une énergie qu’ils n’auraient peut-être pas eus eux-mêmes. Et les plus jeunes nous mentionnaient que c’était vraiment une bonne façon d’entrer dans le milieu de l’enseignement avant d’être confronté par exemple à une salle de classe normale avec la discipline, la gestion de classe et tout ça. Donc, les échanges sont vraiment gagnant-gagnant des deux côtés et on a même certains étudiants qui ont eu — grâce à des référencements ou grâce à cette expérience-là multigénération — ont réussi à trouver des emplois par après dans le milieu de l’enseignement, très bien placés. Et tout ça juste avec une seule activité de partage.
GM : Ian Mauro est du même opinion au sujet du savoir considérable que nous transmettent nos aînés.
IM : L’une des choses intéressantes de mes travaux sur les archives, ce sont les archives vivantes. Je m’intéresse aux êtres humains comme dépositaires intergénérationnels d’information. Et quand je travaille auprès des communautés autochtones – ce que je fais souvent d’ailleurs partout au Canada –, quand nous y parlons à certains de leurs aînés tout en établissant des liens – et des relations de confiance, de respect et de réciprocité – avec eux et que les gens comprennent que nos intentions sont bonnes et qu’ils s’ouvrent et décident d’échanger avec nous, l’information qu’on nous donne est d’une richesse inouïe. Les gens, vous savez, parlent de savoir traditionnel; ils en parlent en y mettant un bémol. Ils l’amadouent jusqu’à un certain point et disent qu’il est important. Mais les gens ont rarement accès aux espaces où l’on commence à en saisir véritablement toute l’importance.
Et je pense que mon travail a commencé à percer de manière crédible et respectueuse le voile de ce qu’il en est vraiment. Et en tant que colon, Blanc, homme et membre de la culture dominante à bien des égards, et en tant que privilégié de celle-ci, je prends cela très au sérieux. Quand les gens s’ouvrent à nous, j’estime qu’une personne dans ma situation accepte une responsabilité énorme. Et ce n’est pas moi qui crée cette information, mais nous en sommes des courroies de transmission. Quand les gens commencent à nous dire des choses devant les caméras, nous devenons un relais d’information. Et grâce à la générosité de certains membres des communautés où nous travaillons un peu partout, nous commençons à saisir toute la profondeur des archives vivantes, de l’information qui vit dans certains de ces êtres humains.
Et la puissance de cette idée d’archives vivantes… J’ai énormément de respect pour les archives dites traditionnelles, mais nous devons également les mettre à l’épreuve parce qu’elles enferment souvent ces choses. Bien sûr, on peut revenir en arrière et comprendre le passé en les consultant, mais nous oublions également que le passé est aujourd’hui présent, sous forme humaine, dans ces gens. Et il est important de reconnaître que l’histoire prend forme dans la vie des gens. Et c’est à une échelle cellulaire qu’elle s’incarne, à un niveau psychologique en quelque sorte, et aussi dans ce savoir né de l’expérience.
Et donc j’adore pouvoir comprendre les gens, leur parler, être interpellé par ce qu’ils me disent et apprendre d’eux. Le seul problème, c’est l’ampleur de la responsabilité qui vous est confiée quand les gens vous accueillent dans leur vie dans ce contexte parce que – dans l’Arctique, par exemple, j’ai travaillé avec Zacharias Kunuk, un cinéaste autochtone réputé qui a réalisé
Atanarjuat, la légende de l’homme rapide. Zach et moi avons fait un film intitulé
Inuit Knowledge and Climate Change. Pour le tourner, Zach est allé interviewer ses aînés dans une foule de communautés nordiques du Nunavut. Lui et moi avons travaillé à ce projet en collaboration. Nous avons filmé en inuktitut, dont je connais les rudiments. J’ai fait le montage avec lui. Nous travaillions en inuktitut dans cette espèce de journée de travail de 9 à 5 qui était la nôtre.
Nous avons produit le premier film au monde en inuktitut sur les changements climatiques. Un film qui puise dans ces archives vivantes que sont les humains sur le territoire. Et quand on pense aux Inuits dans le contexte moderne, beaucoup disent qu’ils sont littéralement un des derniers peuples à avoir été colonisés. Ils sont carrément passés des igloos et qammaqs, au monde moderne en une génération, et Zacharias Kunuk en est un exemple. Il est né dans une hutte de terre du Nord canadien, tout juste à l’extérieur d’Igloolik, et il travaille maintenant avec les technologies numériques. Il parle de son passage de l’âge de pierre à l’ère numérique en l’espace d’une vie humaine.
Et nous avons interviewé des gens qui ont cette expérience, et c’est une expérience incroyable dans le contexte du Canada – dans le contexte du monde. Et nous parlions avec ces aînés qui n’avaient jamais rencontré de Blancs avant d’avoir eu 30 ans. Et ils vivaient une vie traditionnelle sur les terres. Et ils nous ont dit ce qu’ils savaient. Et je n’avais jamais entendu parler d’une vision du monde aussi différente.
Et beaucoup de ces aînés à qui nous avons parlé, que nous avons documentés, qui nous ont raconté leur vécu, sont décédés depuis. Ces archives vivantes sont maintenant des archives réelles – elles sont sur film, elles sont au cinéma, elles sont sur des disques durs. Et nous avons la responsabilité d’en faire quelque chose, de les honorer, d’en assurer la diffusion, de les rendre accessibles à leurs familles, mais également de les faire vivre dans cette espèce d’espace numérique.
Et c’est là que tout devient très, très étrange. Quand vous avez ces archives vivantes qui se transforment tout à coup, vous savez, en archives plus traditionnelles. Et la façon dont vous perpétuez ce cycle d’assurer qu’on transmette le savoir d’hier aux générations de demain parce que les jeunes de beaucoup de ces communautés veulent savoir ce que leurs aînés ont à dire. Et leurs aînés sont là, mais leurs aînés décèdent. Et comment créons-nous un cycle du savoir qui nous assure de ne pas perdre ni enfermer ce savoir recueilli durant la vraie vie, mais plutôt de le mobiliser pour que les jeunes y aient accès? Alors, travailler avec un type comme Zach, vous savez, c’est à bien des égards voir à l’œuvre un guerrier de la langue. Un guerrier de la culture. Quelqu’un qui s’est servi des technologies numériques pour donner à sa communauté les moyens d’agir de façon à ce que ce savoir ne soit pas relégué dans le tiroir du passé ou oublié, mais plutôt transmis de l’avant à la génération d’aujourd’hui, grâce à la puissance des médias numériques, pour qu’elle puisse apprendre du passé afin d’avoir un avenir prometteur.
GM : Ian Werely est un candidat au doctorat au département d’histoire de l’Université Carleton. Il explique comment les leçons de l’histoire peuvent nous aider à nous préparer aux défis de l’avenir.
Ian Werely (IW) : Mon nom est Ian Werely. Je suis doctorant en histoire à l’Université Carleton. Je suis originaire de Brockville, en Ontario, mais je vis actuellement à Aylmer, au Québec. Et mes recherches portent sur l’histoire de l’énergie; précisément sur l’histoire des transitions énergétiques et sur les différents processus qui voient le jour quand les nouveaux régimes énergétiques apparaissent et disparaissent. Donc, une bonne partie de mes recherches sont axées sur des choses telles que les réactions culturelles et sociales aux transitions énergétiques et aux changements d’énergie et sur les différentes façons qu’ont les gens au quotidien d’interpréter les différents types de sources d’énergie, comme le pétrole, le charbon, le solaire et l’éolien, et d’interagir avec elles.
Donc, à l’heure actuelle, ma thèse de doctorat a pour étude de cas la Grande-Bretagne du début du XXe siècle. Ainsi, j’explore comment le charbon en est venu à définir la société britannique à la fin du XIXe siècle et comment l’apparition du pétrole au même moment a commencé à transformer l’idée que les Britanniques se faisaient du monde, les identités britanniques et les rapports que les Britanniques entretenaient entre eux et avec différents pays partout sur la planète.
Donc, ce qui m’intéresse vraiment, c’est la genèse des changements d’énergie et les réactions sociales qu’ils suscitent. Par exemple, comment les gens se font-ils à l’idée de nouvelles sources d’énergie et à toutes les transformations que provoque leur apparition? Le pétrole, par exemple, a engendré plein de nouvelles technologies – avions, voitures, sous-marins, navires de guerre. Et bien de gens ont dû réfléchir à ce que cela signifiait dans leur monde et pour leurs rapports en général avec la société et avec d’autres pays partout dans le monde.
C’est donc un sujet vraiment important, ne serait-ce que pour comprendre le début de l’histoire du pétrole, mais aussi parce qu’on peut en tirer une multitude de leçons pour les transitions énergétiques à venir, ce qui est un peu un aspect secondaire de ma recherche. Donc, mon objectif principal est de comprendre le passé, mais mon objectif secondaire est d’adapter les leçons qu’on pourrait en tirer et les appliquer à nos transitions énergétiques actuelles et même, je l’espère, aux passages à d’autres sources que le pétrole dans l’avenir. Donc, ma prémisse est que si nous comprenons mieux le passage au pétrole, nous saurons beaucoup mieux comment faire face à son abandon inévitable. Il y a donc deux côtés à une même médaille.
Alors, il est évident dans ma vision de l’avenir que nous ferons face à plein de contradictions. Notre pays possède des quantités massives de pétrole enfoui un peu partout, mais surtout en Alberta. Or, nous voilà aussi dans un monde où le pétrole et les hydrocarbures sont presque chose du passé. Nous nous éloignons clairement du pétrole. La société aura toujours besoin de pétrole d’une façon ou d’une autre, mais je pense que dans l’ensemble, le monde en dépend de moins en moins. Alors les Canadiens, comme les Britanniques à l’époque, feront face à toutes sortes de défis. De toute évidence, les possibilités économiques et d’emploi offertes par le pétrole disparaîtront. Tout comme les échanges qui l’entourent avec d’autres pays, avec les États-Unis et avec d’autres grands pays consommateurs de pétrole.
Donc, encore une fois, je pense que le passé nous outille pour déterminer en quoi l’énergie définira vraiment notre monde dans l’avenir. Et le Canada, en particulier, connaîtra au cours des 150 prochaines années des changements qu’on ne peut tout simplement pas imaginer – l’importance et l’ampleur de l’abandon des combustibles fossiles, en particulier les hydrocarbures, vont avoir pour le Canada des conséquences réelles qu’on ne peut pas vraiment non plus comprendre à l’heure actuelle.
Par conséquent, on voit toutes sortes de messages publicitaires – j’en ai vu un l’autre jour qui disait, par exemple, que si vous aimez le hockey, vous feriez mieux d’aimer le pétrole parce que sans pétrole, la Coupe Stanley n’existerait pas. Alors, d’un côté, nous avons ces trames narratives qui affirment que la vie, telle que nous la connaissons, ne peut pas se passer de pétrole et que sans pétrole, nous ne sommes rien, ce qui pourrait se traduire en fait par le raisonnement suivant : le pétrole est partout et tout autour de nous en plus d’être omniprésent et omnipotent. Mais en même temps, ça nous révèle en quelque sorte que, wow, nous ne pouvons pas faire de sport sans pétrole de nos jours. Et qu’est-ce que cela voudra dire quand nous devrons bel et bien tourner le dos au pétrole? Aurons-nous des sports? Bien sûr que nous en aurons. Mais à quoi s’alimenteront ces stades sportifs? Y aura-t-il un nouveau stade alimenté à l’énergie solaire qui emballera les gens? Un nouveau stade alimenté à l’énergie éolienne qui emballera les gens?
Donc, c’est à ce genre de choses que nous devrons faire face et il vaut mieux y réfléchir à l’avance que d’y réagir lorsqu’elles surviennent. Et c’est là une chose que j’ai remarquée en Grande-Bretagne, que les gens ne prenaient pas vraiment le pétrole au sérieux au début. On le voyait un peu comme un jeu décadent pour les nantis, quelque chose qui s’adressait aux gens riches qui avaient beaucoup d’argent à dépenser pour s’offrir du luxe comme prendre l’avion et conduire une voiture. Et donc, Monsieur et Madame Tout-le-Monde ne se préoccupaient guère du pétrole. Ce qui était aussi le cas, dans une large mesure, de beaucoup de politiciens. Mais tout à coup, après la Deuxième Guerre mondiale, le pétrole est devenu le combustible dominant dans beaucoup de domaines. Et les Britanniques ont dû en quelque sorte se rendre à l’évidence qu’ils avaient perdu la suprématie que leur avait assurée le charbon. Et qu’ils avaient en fait contribué à ce virage nouveau vers le pétrole.
Et je pense que la vraie leçon que j’ai tirée du passé, c’est que les transitions énergétiques peuvent se produire extrêmement vite, en une génération. Et les sociétés qui réussissent le mieux sont celles qui sont à la fine pointe de ces transitions, qui les dirigent au lieu d’y réagir et d’y répondre. Je pense donc qu’il peut y avoir là des possibilités pour le Canada dans l’avenir, mais également des défis assez redoutables. C’est la raison pour laquelle je pense que les recherches sur l’histoire du pétrole et, de façon plus générale, les recherches sur l’histoire de l’énergie peuvent vraiment aider les Canadiens à tourner la page au quotidien sur un monde défini presque entièrement par le pétrole et à s’enthousiasmer pour l’avenir, quel qu’il soit.
GM : Ian nous parle du rôle des bibliothèques et des archives dans ses recherches.
IW : J’ai fait une grande partie de mes recherches dans les archives du Canada et du Royaume-Uni. Et bien qu’on puisse faire de plus en plus de recherches en ligne en consultant les archives numérisées, les journaux et tout le reste, je me suis tout de suite rendu compte que j’allais devoir aller faire mon défrichage dans les archives mêmes. À l’enseigne de la voix locale. Là où on peut trouver l’expérience quotidienne, quasi banale, de l’individu. Donc, on peut explorer certains des grands thèmes, plus vastes, en fouillant dans les bases des données et les dépôts d’information. Mais pour vraiment décortiquer dans le menu détail l’expérience individuelle du pétrole, il faut se rendre dans les archives.
Alors, ces dernières années, j’ai fait deux voyages archivistiques. J’en ai fait un il y a environ cinq semaines en Grande-Bretagne, où je suis allé visiter des bibliothèques publiques, une à Cardiff, par exemple. Aussi des archives locales financées par les fonds publics, par exemple à Glamorganshire. Certaines archives universitaires à Birmingham. Et mes archives préférées, celles de la société British Petroleum, à l’Université de Warwick. Et ces archives sont toutes différentes. Certes, les documents qu’elles conservent sont différents et les règles pour y accéder sont très différentes, surtout dans les archives d’entreprises. Mais elles montraient toutes un aspect différent de l’expérience quotidienne du pétrole.
J’y ai donc trouvé des journaux intimes d’étudiants. Il y avait des réunions de la haute direction à BP [British Petrol]. J’ai trouvé des documents personnels et des photos. J’ai aussi pu trouver beaucoup de journaux et de correspondance privée. Ainsi, on peut vraiment voir toute la gamme de sources dans une archive. Et ce qui est bien, c’est qu’on n’a pas besoin de se déplacer pour obtenir tout ce contenu. Donc beaucoup de gens pensent que c’est fastidieux et ennuyeux d’aller aux archives. Mais je passais des jours aux archives, où en une journée je pouvais lire des journaux intimes, des lettres, regarder des tableaux, lire des procès-verbaux de réunions, visionner des vidéos et des films.
Il y a donc beaucoup de choses dans une archive qui ne sont pas que de vieux documents poussiéreux. Et j’ai vite découvert que, pour connaître la véritable histoire du passé, il faut essentiellement commencer aux archives par faire le travail de débroussaillage qui consiste à extraire des sources et à les parcourir, en faisant ressortir le genre de fils et de thèmes que l’on retrouve dans ces types de sources.
J’ai donc passé la plus grande partie de mon temps aux archives en Angleterre et au Pays de Galles, mais j’ai aussi pu passer beaucoup de temps à BAC. Il y a une assez grande collection d’histoire et d’objets commémoratifs du pétrole à BAC. Il y a beaucoup de lettres liées à l’utilisation du pétrole et du charbon par la Marine royale britannique pendant les guerres. Il y a donc toute une page d’histoire sur le pétrole en temps de guerre à BAC. Mais, dans l’ensemble, je pense que tous ceux qui étudient le passé doivent mettre cette approche multi-archives au centre de leurs recherches et j’espère que ça continuera d’être quelque chose que les gens utilisent comme type de graine ou de semence dans leurs recherches.
GM : L’exposition
Qui sommes-nous? de BAC illustre tout ce que peuvent renfermer les bibliothèques et les archives. Dans notre coup d’œil sur l’exposition, M. Gaffield nous a fait part de réflexions sur l’art de la recherche archivistique.
CG : Le fait d’avoir ici les pinceaux de Paul Kane est vraiment important, puisque cela nous rappelle que les archives sont indiscutablement la demeure documentaire de l’histoire canadienne. Mais la collection est beaucoup plus vaste que cela et touche une myriade de documents, qu’il s’agisse d’objets de toutes sortes ou de témoignages oraux, bref de tout ce qui a trait au passé canadien. Et c’est là, je pense, une des choses dont nous n’avons souvent pas apprécié la valeur. Et je sais que nous, les historiens, avons eu tendance dans le passé à mettre l’accent sur le mot, les documents, ce qui était écrit. Et maintenant, nous essayons de comprendre les choses d’une façon beaucoup plus raffinée, sachant qu’il faut, pour réfléchir au passé, penser non seulement à ce qui s’est écrit, mais également aux types d’objets qui entouraient les gens ainsi qu’à l’évolution de ceux-ci et à leur possible influence sur l’expression humaine.
Donc, prenons l’exemple des pinceaux, une technologie dont l’évolution et l’amélioration transforment ce que nous voyons. Ce qui est d’ailleurs manifeste aujourd’hui, à l’ère du numérique, où l’on crée de l’art autant sur écran qu’avec de vrais pinceaux et d’autres sortes d’outils. Alors, je pense que nous le rappeler est l’une des grandes forces de Bibliothèque et Archives Canada, et cela révèle tout l’éventail des compétences dont nous avons véritablement besoin pour étudier le passé et comprendre ce que nous en savons.
La collection Notman est certainement l’une des grandes collections photographiques à l’échelle du monde. Et les studios Notman, si connus à Montréal, ont à vrai dire documenté tant de choses, non simplement sur les élites, mais sur tous les aspects de la vie canadienne. L’intérêt véritable à mon avis réside dans toute l’audace et tout le contrôle de la démarche photographique. Donc, on ne se souciait guère de saisir la réalité, entre guillemets, préférant introduire allègrement un environnement qui vous convenait, au sein duquel vous placiez vos sujets pour les photographier. Bref, toutes les photos de Notman – ou beaucoup d’entre elles – ont, au fond, été créées artificiellement pour répondre aux désirs de la personne ou du groupe qui se faisait prendre en photo, que ce soit par Notman ou son équipe de photographes.
Voici donc une tentative d’appréhender une réalité qui, dans les faits, a été construite, artificiellement dans bien des cas, par les participants. Et il est très important d’en tenir compte lorsqu’on utilise les données historiques parce que, comme nous le savons, nous ne pouvons pas prendre à la lettre les traces de l’histoire. Nous ne pouvons pas les prendre au mot. Nous devons nous montrer très prudents, critiques et perspicaces par rapport à la chose que nous observons, à la façon et au pourquoi de sa création et au public pour lequel on l’a créée; ce sont là des questions cruciales qu’il faut toujours se poser. Et je pense que les photographies de Notman illustrent certainement le genre de raffinement dont nous devons faire preuve lorsque nous tentons de mieux comprendre le passé.
GM : Ce carcajou me semble un peu crispé.
[Rires]
GM : On voit bien qu’il est empaillé.
CG : [Rires] Je veux dire, ils étaient fantastiques. Ils avaient ces décors et pouvaient tout simplement – tout ça est dans un studio, pas vrai? Ils ont tout simplement apporté des arbres et rassemblé toutes sortes d’objets d’une manière théâtrale qui est importante pour comprendre ce qu’ils tentaient de faire pour dépeindre les gens comme ceux-ci voulaient l’être, comment ils voulaient se voir.
Et je pense qu’il s’agit là d’un aspect vraiment intéressant de l’histoire, car ce que nous voyons ici est, à bien des égards, ce que les gens ont décidé de nous laisser voir. On nous ouvre donc des fenêtres sur le passé, mais n’oublions jamais que ces fenêtres sont celles qui ont été choisies, parfois par inadvertance, parfois inconsciemment. Mais ce ne sont pas nécessairement celles que nous aurions choisies nous-mêmes. Et tous les historiens se demandent : pourquoi quelqu’un n’a-t-il pas laissé tel genre d’élément de preuve et pourquoi ne le voyons-nous pas sous tel angle? Mais c’est la nature même de la recherche historique.
GM : Revoici Zoe Todd, qui parle de certains des défis que devront relever les établissements d’archives à l’avenir.
ZT : Lorsque j’ai lu le journal de mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père dans les archives de la baie d’Hudson à Winnipeg à l’été 2010, vous savez, c’était tellement incroyable de tenir quelque chose que mon ancêtre avait écrit et de m’asseoir dans cette salle à Winnipeg au milieu de l’été dans la tranquillité des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et d’être transportée jusqu’en 1837, alors qu’il essayait de trouver quoi faire avec ce qu’il soupçonnait être une éclosion de variole à Fort Pelly.
Et, vous savez, c’était une relation très significative que j’ai réussi à établir, mais je n’ai pu le faire que parce que je me trouvais à Winnipeg à l’époque et que des gens comme Frank Tough m’ont mentionné : oh, tu devrais peut-être passer pour voir ce qu’ils ont. Et ce ne sont pas tous les membres de ma famille qui ont eu cette chance. Et j’aimerais vraiment, si jamais j’ai des enfants ou des petits-enfants, qu’ils aient la même chance.
Donc je ne suis pas sûre comment y arriver, car il faut aussi préserver le matériel. Voilà donc le genre de questions générales auxquelles je sais que les archivistes et les gens qui travaillent dans le domaine de la culture matérielle et des musées réfléchissent. Comment faire pour – j’ai toujours envie de dire « démocratiser », mais je ne suis pas sûre que ce soit le mot juste. Mais comment travailler avec les archivistes qui accomplissent ce travail très minutieux et important qui consiste à s’occuper de ces documents? Comment collaborer à trouver des moyens de perpétuer ces histoires?
L’avenir que j’envisage – et j’espère que mon travail y contribuera – est un avenir où nous nous occupons vraiment les uns des autres et où nous nous occupons de nos histoires. Nous réfléchissons à nos responsabilités à l’égard du monde, tant à l’échelle locale que mondiale. Et nous réfléchissons à l’éthique requise pour bien le faire.
GM : Beaucoup de nos invités ont insisté sur la nécessité de mener des recherches qui redonnent au grand public. Voici Ian Mauro.
IM : Vous savez, quand nous parlons de toutes ces choses, quand nous parlons d’information, quand nous parlons de recherche, quand nous parlons du pouvoir de la connaissance pour construire un meilleur avenir, nous devons le faire dans le contexte du respect. Nous devons le faire dans le contexte de la réciprocité. Si nous faisons des recherches sans mettre l’accent sur la nécessité de redonner aux gens, alors je suis d’avis que nous ne faisons pas de bonnes recherches. Nous ne pouvons pas concevoir et construire ces paysages intellectuels simplement pour satisfaire notre curiosité. Ils doivent avoir un but dans mon esprit. Ils doivent avoir un public qui est réellement touché par quelque chose, et nous devons profiter de l’occasion qui nous est offerte d’améliorer le monde et de créer des expériences plus enrichissantes pour les gens, qui améliorent leur vie et qui nous sont enseignées par des gens qui ont une expérience réelle.
Vous savez, je pense que les universités se laissent trop souvent prendre dans leurs propres machinations et nous devons veiller, lorsque nous travaillons dans ce milieu de recherche – et c’est mon point de vue personnel –, à le faire en y associant les communautés dès le début, d’une manière conçue pour elles et passant par elles de façon à ce que les résultats de tout ce que nous essayons de faire créent un véritable changement.
GM : Voici Elissa Gurman.
EG : Ce que je pense que nous devons faire en recherche en sciences humaines, et d’après moi en recherche en général, c’est de travailler en fait sur une des choses que le CRSH prône, qui est la diffusion pour le public. Et je sais que beaucoup d’universitaires se sentent mal à l’aise à l’idée, qu’ils ont l’impression qu’on les pousse dans une zone où ils n’ont pas leur place ou n’ont pas confiance – l’idée qu’ils doivent réfléchir à la façon de diffuser leurs travaux dans un contexte en dehors du milieu universitaire. Mais je pense qu’il est essentiel de le faire si nous voulons conserver notre pertinence. Et je pense que c’est une occasion qui devrait nous enthousiasmer.
Je peux m’asseoir dans mon bureau et écrire mon livre sur le consentement et l’intrigue amoureuse, et l’écrire d’une façon qui s’adresse seulement aux universitaires, et il sera lu par peut-être quelques centaines de personnes, si j’ai de la chance. Mais ce que j’aimerais vraiment faire, et ce pour quoi j’aimerais beaucoup recevoir du financement – et qui est selon moi un peu difficile – c’est d’écrire un livre pour le grand public qui parle de ce sujet et qui prolongerait mes délais au-delà des paramètres de ce qui serait permis dans le cadre universitaire, qui étendrait mon contenu au-delà des paramètres de la littérature canonique et qui pourrait vraiment intéresser le public, avoir un impact et faire parler les gens.
GM : Encore une fois, Ian Werely.
IW : Donc, d’après moi, l’avenir des sciences humaines est prometteur et, en fait, devrait l’être. Parce que, bien qu’on parle beaucoup ces temps-ci de la réduction du financement des sciences humaines, car on ne les considère pas comme nécessaires ou aussi pratiques que certains autres domaines, j’ai toujours pensé que les sciences humaines offraient le genre de perspective qui nous permet de comprendre notre monde.
Une métaphore que j’aime bien utiliser est donc que les sciences exactes – les mathématiques, la technologie scientifique, les domaines des STIM – tracent les grandes lignes de notre monde, donnent une vision bidimensionnelle du monde. Et que les recherches en sciences humaines et sociales viennent ajouter la couleur, les ombres, la texture et la profondeur à ce dessin en deux dimensions. Elles sont donc toutes deux nécessaires et requises et, en fait, elles se complètent l’une et l’autre. Mais on ne peut pas se détacher de l’une au profit de l’autre.
Donc, bien que l’on observe une sorte de poussée en faveur de la formation et de la technologie dans les domaines des STIM ainsi que de la programmation, je crains que cela ne se traduise par un recul par rapport aux études en sciences humaines et sociales, qui, comme je l’ai dit, fournissent vraiment la texture et la couleur à notre vie quotidienne.
GM : Si vous souhaitez en savoir plus sur les diverses initiatives du CRSH, veuillez vous rendre sur la page de ce balado à
bac-lac.gc.ca/balados. Là, vous trouverez un certain nombre de liens au sujet du CRSH et des chercheurs que vous avez entendus dans cet épisode.
Si vous êtes à Ottawa, n’oubliez pas de visiter l’exposition gratuite
Qui sommes-nous? de BAC. À l’affiche jusqu’au 1er mars 2018, elle présente des trésors de la collection de BAC, dont certains ont rarement été exposés.
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Merci d'avoir été des nôtres. Ici Geneviève Morin, votre animatrice. Vous écoutiez « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada ‒ votre fenêtre sur l'histoire, la littérature et la culture canadiennes ». Nous remercions tout particulièrement nos collaborateurs, Audrey-Kristel Barbeau, Chad Gaffield, Elissa Gurman, Robin MacEwan, Ian Mauro, Zoe Todd et Ian Wereley.
Cet épisode a été produit et réalisé par Tom Thompson avec l’aide de Paula Kielstra.
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