Transcription d'épisode 10
Jessica Ouvrard : Bienvenue à « Découvrez Bibliothèque et Archives Canada : votre histoire, votre patrimoine documentaire ». Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Joignez-vous à nous pour découvrir les trésors dont recèlent nos collections, pour en savoir plus sur nos nombreux services et pour rencontrer les gens qui acquièrent, protègent et font connaître le patrimoine documentaire du Canada.
Dans cet épisode, nous parlons du Gramophone virtuel de BAC, un site Internet multimédia consacré aux tout débuts des enregistrements sonores au Canada. Le site donne un aperçu de l’époque des disques 78 tours dans notre pays. Gilles Leclerc et Gilles St-Laurent, respectivement archiviste adjoint et restaurateur audio en chef à BAC, se joignent à nous aujourd’hui.
JO : Bonjour Gilles, et merci d’être avec nous aujourd’hui.
Gilles Leclerc : Merci beaucoup.
JO : La collection de BAC est très diversifiée. Pouvez-vous nous dire si elle comprend des enregistrements musicaux?
GL : Oui, effectivement. Nous possédons une vaste collection de plus de 200 000 enregistrements de toutes les époques qui représentent l’histoire complète de l’industrie phonographique est assez fascinante. Nous avons des échantillons d’à peu près tous les genres d’enregistrements produits depuis la fin du XIXe siècle.
JO : Ces enregistrements sont-ils disponibles et accessibles au public?
GL : Ils le sont, oui. Dans la plupart des cas, il est possible de les écouter sur place. D’habitude, BAC prépare un exemplaire de référence ou de consultation, surtout dans le cas des vieux disques 78 tours, car ils sont très fragiles. Cela nous permets de mieux les préserver.
JO : Ces enregistrements sont-ils accessibles en personne seulement?
GL : Vous pouvez bien sûr consulter nos pages Web, car le site du Gramophone virtuel donne accès à une partie assez considérable des 50 000 disques 78 tours que nous avons. Nous décrivons environ 15 000 de ces disques sur le site Internet du Gramophone virtuel; de ce nombre, on peut écouter en ligne et même télécharger à peu près 7 000 enregistrements. Donc, ils sont véritablement accessibles.
JO : Incroyable! C’est intéressant. S’agit-il toujours de disques 78 tours ou y a-t-il des enregistrements présentés sous d’autres formes?
GL : Sur le site du Gramophone virtuel, ce ne sont que des disques 78 tours. Toutefois, si une personne vient sur place, elle pourra aussi écouter des CD de notre collection. Bien sûr, ces enregistrements nous sont remis par le biais du dépôt légal. La même observation vaut pour les disques vinyles, à moins qu’ils ne soient trop fragiles. Dans ce cas, il existerait aussi un exemplaire de consultation sur DVD ou CD.
JO : Avons-nous des cylindres également?
GL : Nous en avons une collection assez volumineuse. Ce sont des enregistrements fascinants qui ont précédé les disques 78 tours de sept pouces. Cela a dû être tout un événement, passer du néant – il n’existait nulle part quelque chose qu’on pouvait écouter – à la musique en boîte, pour ainsi dire, car ces petits contenants ressemblent bel et bien à des canettes.
JO : Voici Gilles St-Laurent.
Gilles St-Laurent : Le tout premier enregistrement a été réalisé en 1877 par Thomas Edison, sur un cylindre. Il s’agissait essentiellement d’un gros objet cylindrique enveloppé d’une pellicule métallique sur laquelle étaient directement gravées les ondes sonores. Plus tard, on a commencé à fabriquer des disques plus petits, en cire, car le plastique n’avait pas encore été inventé; nous parlons donc du début, du milieu des années 1880. Ces premiers cylindres présentaient plusieurs problèmes. Tout d’abord, ils étaient faits de cire; c’était une cire dure, mais elle s’usait. La pression exercée par l’aiguille finissait par éroder l’information gravée dans les sillons. De plus, ils étaient très fragiles et se brisaient assez facilement. Il n’y avait sur les cylindres aucun espace pour inscrire des renseignements sur la chanson, de sorte que l’on risquait de ne pas savoir sur quel cylindre telle ou telle chanson était enregistrée parmi tous ceux que l’on avait rangés dans son tiroir! Il n’était pas facile de les entreposer, simplement à cause de leur taille, soit à peu près celle d’une canette de boisson gazeuse avec l’information gravée dessus. Quand les disques ont été inventés vers la fin des années 1880, ils présentaient de nombreux avantages. On pouvait notamment y coller une étiquette et y inscrire des renseignements sur les chansons.
JO : Le nom des musiciens…
GS : Le nom des musiciens, des compositeurs, de la maison de disques… N’importe quel renseignement que l’on souhaitait y indiquer. Les tout premiers disques étaient faits de caoutchouc dur; le son était affreux, et les problèmes de contrôle de la qualité étaient considérables. C’est alors que l’on a inventé les disques en gomme‑laque, c’est-à-dire les 78 tours modernes.
JO : D’accord. Donc, aujourd’hui, comment faire jouer ces albums ou disques, et en faire des enregistrements numériques?
GS : Ce sont des disques.
JO : Oui…
GS : Nous avons de l’équipement moderne conçu pour faire jouer ces anciens disques et cylindres. Les tout premiers enregistrements faits avant 1925 sur les cylindres et les disques l’étaient sans microphone, car l’électricité n’existait pas encore et le microphone n’avait pas été inventé. On établissait donc une synchronisation directe dans un cornet, et les ondes sonores se gravaient dans la matière originale. Plus tard, en 1925, quand on a commencé à utiliser les microphones, on a constaté que ceux-ci pouvaient capter beaucoup plus de sons graves que le cornet. Le sillon s’insérait dans le sillon adjacent. Les techniciens devaient donc enregistrer les sons graves avant d’enregistrer la chanson sur le disque, l’idée étant qu’à la maison, muni d’un amplificateur, l’utilisateur ramènerait les sons graves dans leur sillon original. Les techniciens exagéraient aussi les hautes fréquences et les atténuaient plus tard pour éliminer certains bruits, les bruits de surface. Cela comportait un problème : ces courbes de lecture, comme on les appelait, variaient d’une maison de disques à l’autre. Elles pouvaient chacune obtenir des fréquences différentes quand un sillon était renforcé. Même au sein d’une même maison de disques, l’égalisation faite par la filiale de Chicago n’était pas la même que celle de la filiale de Montréal, par exemple.
JO : Je comprends.
GS : Nous avons donc travaillé avec une entreprise américaine pour créer une boîte qui nous permet de sélectionner, à l’aide d’un cadran, l’égalisation de lecture appropriée pour obtenir ainsi un son exact du point de vue historique. L’égalisation n’a pas été normalisée avant 1955. Par conséquent, il n’existe aucune uniformité en ce qui concerne tous les enregistrements réalisés avant cette date.
JO : D’accord.
GS : Les paramètres variaient énormément. En fin de compte, on prenait la décision en fonction de l’année pour savoir quel degré d’égalisation on allait utiliser. Il se pouvait qu’un enregistrement ait été publié en 1926, mais qu’il ait été réalisé en 1924, avant l’invention du microphone, ou encore qu’il ait été réédité. Par conséquent, toutes sortes de facteurs entrent en ligne de compte…
JO : Des variables.
GS : Il y a un autre élément dont nous devons tenir compte. En effet, la taille des sillons d’enregistrement a changé au cours des années. À l’origine, ils étaient assez rudimentaires. Avec le temps, on en a réduit la taille, de manière à en accroître le nombre sur un disque et à créer des disques pouvant jouer plus longtemps. Nous possédons toute une gamme de pointes de lecture qui nous permettent d’aller plus ou moins profondément dans le sillon afin d’obtenir le meilleur son possible. Parfois, les disques ont été endommagés. Qui sait ce qui a pu leur arriver avant que nous les obtenions? Parfois, en choisissant une pointe de lecture un peu plus petite ou un peu plus longue, nous arrivons à éliminer le bruit. Dans certains cas, la différence est négligeable, mais dans d’autres, elle est énorme.
JO : Quand vous parlez des pointes de lecture, vous faites allusion à l’aiguille, n’est-ce pas?
GS : Oui, c’est exact. L’aiguille qui suit le sillon.
JO : Parfait! Merci.
GS : Autre chose qu’il ne faut pas oublier : les premiers disques plats, ceux que l’on appelle 78 tours, n’ont jamais été enregistrés à exactement 78 tours. Cela pouvait varier entre 65 et 100 tours, et influait beaucoup sur la qualité de la voix. Celle-ci pouvait s’apparenter à celle d’un suisse, ou de l’un des Chipmunks, et le vibrato était trop rapide. Le son n’était vraiment pas naturel. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer d’obtenir la bonne tonie ou hauteur tonale; pour cela, nous utilisons un clavier et nous comparons l’enregistrement au son du clavier pour essayer d’en trouver la tonalité, tout en nous rappelant que les cuivres préfèrent les bémols, les cordes, les dièses, et que la musique populaire est composée dans des tons plus simples; par ailleurs, la musique classique affectionne les modulations de sorte que, tout d’un coup, on se retrouve avec la partie des instruments à vent écrite avec six dièses à la clef ou quelque chose du genre. Dans le cas de la musique classique, nous pouvons trouver la partition et comparer l’enregistrement à celle-ci et trouver exactement la tonalité qui convient. Cependant, un défi se pose à cet égard, du fait qu’à l’époque, les chanteurs classiques n’hésitaient aucunement à transposer la partition pour l’adapter à leur voix! On a même inventé des pianos dont on pouvait décaler le clavier légèrement pour accommoder le chanteur…
JO : Un décalage d’une octave?
GS : Non, le clavier glissait d’un demi-ton ou d’un ton. Le pianiste jouait le morceau dans la tonalité indiquée, mais le son produit était ou plus haut ou plus bas d’un ton, par exemple. Par conséquent, la partition que vous avez entre les mains indique quelque chose, mais le son que vous entendez vous surprend! Ce n’est pas la même tonalité! Encore une fois, il faut prendre tous ces éléments en considération.
JO : Ce que nous écoutons quand nous consultons le site du Gramophone virtuel est très près de l’original, aussi fidèle à l’original que possible, ou aussi fidèle que le son devrait être, selon vous.
GS : Disons aussi fidèle que le son devrait l’être, selon nous. C’est une estimation éclairée. En outre, en ce qui concerne ce que vous écoutez sur le Gramophone virtuel, nous cherchons tout d’abord à produire le meilleur son analogique possible. Nous choisissons tous les degrés d’égalisation, la taille de l’aiguille et la vitesse; tous les paramètres sont établis. Ensuite, nous faisons une numérisation de très haut niveau qui est environ 512 fois plus exacte que ce que l’on obtiendrait avec un CD audio. Nous partons donc d’un enregistrement de très haute qualité. Ensuite, nous réduisons le bruit très légèrement, pour rendre le son plus « potable ». En d’autres mots, nous rendons le son produit avec une technologie datant du XIXe ou du XVIIIe siècle plus acceptable aux oreilles des mélomanes du XXIe siècle. Nous supprimons donc certains des clics et des claquements et une partie du sifflement, juste pour que le son soit un peu plus agréable à écouter. Certes, il serait possible d’éliminer une plus grande partie du bruit, mais il vaut mieux en laisser un peu pour conserver à la musique un caractère plus entier. Les mélomanes peuvent ensuite décider d’eux-mêmes s’ils veulent atténuer les hautes fréquences ou modifier le son selon leurs préférences.
JO : Quel est l’enregistrement le plus ancien dans la collection musicale de BAC?
GS : Il date de 1889; c’est un petit disque de cinq pouces. Un homme y exécute des bruits d’animaux avec sa bouche. L’enregistrement est affreux, mais il est très divertissant.
JO : Pouvez-vous me dire quelle est la provenance de ces enregistrements sonores?
GS : Eh bien, la collection d’enregistrements sonores a été créée en 1967. Les premiers disques nous ont été fournis par un certain Ed Moogk qui avait travaillé à la Société Radio-Canada (CBC), pour laquelle il animait alors une émission radiophonique. Il avait une passion pour ces vieux disques. Après cela, nous avons fait l’acquisition d’autres collections, soit auprès de collectionneurs qui étaient disposés à nous les vendre, soit en nous rendant à des ventes aux enchères, soit auprès de marchands, ou en recourant à d’autres moyens. Bien sûr, ces enregistrements n’étaient pas vendus dans les magasins de disques, car ils étaient beaucoup trop vieux.
JO : Quels sont les éléments saillants de la collection? Comprend-elle des enregistrements uniques en leur genre ou des étiquettes sans pareilles?
GL : Je crois que, dans l’ensemble, la collection nous procure un bon aperçu de la production d’enregistrements sonores au Canada, et c’est ce qui est le plus intéressant. Nous avons véritablement montré qui étaient les artistes et les grands chanteurs de chaque époque. Pour n’en mentionner que quelques-uns, nous avons Harry Mcdonough, qui a été un des chanteurs les plus célèbres de son temps. Nous possédons son enregistrement de 1899 de « My Little Georgia Rose ». Il s’agissait d’un disque 78 tours de sept pouces. Les disques sont devenus un peu plus grands après 1910 je dirais. Les disques de sept pouces sont plus petits et ressemblent presque à des cédéroms. En fait, on n’en utilisait qu’une face comme nos CD actuels. Il est intéressant de voir comment on revient parfois au point de départ. Nous avons aussi, bien sûr, le fameux morceau intitulé « Maple Leaf Forever » qui a bien failli devenir l’hymne national du Canada. Nous en possédons la version exécutée par l’orchestre Kilties en 1902, sous l’étiquette canadienne Tartan. C’est d’ailleurs un des rares enregistrements produits par cette maison de disques de l’époque qui existent encore. Notre collection comprend aussi un intéressant disque de Joseph Saucier qui a enregistré de la musique classique et religieuse – le « Panis Angelicus » en particulier. Il a été le premier Canadien français à graver un disque. Nous possédons en outre tous les enregistrements originaux de Madame La Bolduc, une des chanteuses populaires les mieux connues des années 1930 au Québec. Elle avait un style bien à elle issu principalement de la musique folklorique, et nous pouvons maintenant dire que nous tous les disques originaux qu’elle n’ait jamais enregistré. Voilà qui est fort intéressant!
JO : Le Gramophone virtuel met-il en vedette d’autres artistes canadiens connus?
GL : Oui. Je dois mentionner Emma Albani, qui a sans doute été l’une des sopranos les plus célèbres à la fin du XIXe siècle. Elle est devenue une très bonne amie de la reine Victoria, semble-t-il. Elle a fait carrière en Europe surtout, après avoir quitté le Québec. Elle a accompli des tournées mondiales et elle a compté parmi les célébrités de son temps. Nous possédons ses enregistrements qui ont tous été réalisés plus tard au cours de sa carrière. Par conséquent, nous n’avons rien datant du moment où sa carrière en était à son zénith. Malgré tout, nous disposons d’un magnifique échantillon de la voix qui a exercé un effet aussi frappant sur la musique de Berlin au XIXe siècle. Emma Albani compte donc à coup sûr parmi nos artistes les plus célèbres. Il y a eu d’autres chanteurs classiques, dont Pauline Donalda, Sarah Fischer et Hubert Eisdell. Ce sont donc des noms que les Canadiens peuvent découvrir, car ils ne les connaissent sans doute pas aujourd’hui, n’est-ce pas? Cependant, ils sont inclus dans notre collection d’enregistrements sonores, lesquels font partie de notre histoire musicale. C’est là quelque chose d’important pour nous.
JO : BAC offre-t-elle d’autres outils particuliers permettant de trouver des enregistrements sonores sur le site du Gramophone virtuel?
GL : Il y a, bien sûr, le moteur de recherche du Gramophone virtuel; il permet d’interroger le site pour y trouver des thèmes, noms ou titres. Nous offrons quelques articles qui intéresseront les internautes, car ils fournissent un bon aperçu de l’histoire de l’industrie phonographique canadienne, de ses débuts. Et vous savez, bien sûr, qu’Emile Berliner était au cœur de tout cela. Les visiteurs pourront ainsi se renseigner et apprendre comment le Canada a toujours semblé contribuer avec vigueur à l’évolution de cette industrie. Bien que, celle-ci ait démarré en même temps aux États-Unis avec Edison et Columbia, Emile Berliner a réussi à définir et à protéger son « territoire » au Canada. Grâce à lui, nous avons fini par aligner une bonne équipe d’artistes anglophones et francophones Canadiens.
JO : Excellent! Que nous révèlent les enregistrements musicaux trouvés dans le Gramophone virtuel sur l’identité, la culture et l’histoire du Canada?
GL : Chose certaine, ils nous parlent des événements historiques. Quand on écoute les chansons, elles nous parlent d’histoire.
JO : Certains thèmes se dégagent.
GL : Oui, effectivement. La Première Guerre mondiale, par exemple. Si vous faites une recherche avec le mot « guerre » sur le site du Gramophone virtuel, vous trouverez environ 600 chansons. Nous en avons donc un bon nombre, et beaucoup portent bien sûr sur le recrutement et d’autres thèmes de l’époque. De nombreux airs racontent l’histoire d’une mère attendant que son fils revienne de la guerre. Il y a aussi, bien sûr, les chansons d’amour. Beaucoup sont dédiées à des régiments, et le nationalisme y transparaît. Les enregistrements renseignent aussi sur l’évolution politique du Canada, car celui-ci avait alors des liens beaucoup plus étroits que maintenant avec la Grande-Bretagne. Le Canada fait encore partie du Commonwealth, mais aujourd’hui, la dynamique à cet égard a évolué par rapport à ce qu’elle était à ce moment-là. De nombreuses chansons parlaient du devoir d’aller à la guerre pour le roi et la patrie. Je ne suis pas certain que cette ardeur serait aussi forte de nos jours, mais les airs de l’époque traduisaient cet état d’esprit, tout comme d’ailleurs les paroles. Il suffit d’analyser les paroles pour découvrir ce qu’étaient les valeurs sociales : la même observation vaut pour les partitions.
JO : Oui, je comprends. Donc, on peut voir à coup sûr que les enregistrements ont une saveur bien canadienne.
GL : Effectivement, et un autre aspect qui transparaît clairement réside dans le fait que de nombreuses chansons sont bilingues. Les paroles françaises sont donc fournies. La maison Roméo Beaudry a été une des principales maisons de disques de Montréal pendant des années. M. Beaudry a fourni une traduction française des paroles d’au moins une centaine de chansons populaires, dont beaucoup étaient américaines. Il est intéressant de voir comment cette maison travaillait dans deux marchés différents. Bien sûr, elle s’est assurée que bon nombre des chansons populaires avaient un équivalent en français.
JO : La collection comporte-t-elle des chansons d’artistes en dehors du domaine du Gramophone virtuel? Des airs anciens ou plus contemporains?
GL : Des airs plus contemporains, oui, bien sûr, la collection compte 200 000 enregistrements. Il y a donc de tout, depuis la musique rock jusqu’aux genres les plus récents. Il y a quelque chose pour tout le monde dans la collection et, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous continuons d’accumuler des enregistrements grâce au dépôt légal, et d’autres nous parviennent automatiquement. Parfois, nous devons aller les solliciter, mais la plupart du temps, ils nous arrivent spontanément. La collection grandit sans cesse, et cela posera un défi dans les années à venir, mais je pense que ce sera un défi agréable à relever. Nous continuerons de nous intéresser à tout ce que produira l’industrie de l’enregistrement sonore.
JO : Selon vous, quelle est la principale différence entre ces enregistrements musicaux et ceux d’aujourd’hui?
GS : Chose certaine, la différence quant à la qualité du son est phénoménale.
JO : Vous faites allusion à l’esthétique moderne?
GS : Non, il ne s’agit pas tant de l’esthétique moderne. Par exemple, la taille physique de ces disques. Les disques à gomme-laque peuvent être assez lourds. Prenons l’exemple d’une œuvre classique telle que le « Messie de Handel ». Il faudrait, pour l’enregistrer, de 20 à 30 disques d’acétate, qui risqueraient d’être plutôt lourds ensemble. Or, on pourrait enregistrer la même œuvre sur une clé USB et le son serait meilleur : pas de bruits de fond, et c’est si facile à transporter! Je ne voudrais pas travailler dans un magasin de disques du tournant du siècle. Ces anciens disques étaient très lourds. Et, bien sûr, la qualité du son est tellement meilleure maintenant, et tellement plus accessible.
JO : Tellement plus accessible à notre…
GS : Elle est plus accessible…
JO : Elle est pure?
GS : Eh bien, elle est plus pure, mais c’est ce à quoi notre oreille s’est habituée. Dans les années 1920, on a fait une annonce montrant un gramophone et un chanteur dissimulés derrière un rideau, et les gens ne pouvaient pas faire la différence entre les deux. Aujourd’hui, bien sûr, on l’entendrait aussitôt, mais c’est uniquement parce que notre oreille est désormais mieux formée. Nous sommes maintenant tellement habitués à une bonne qualité sonore que nous la tenons tous pour acquise. Il y a un autre aspect important : autrefois, tous les enregistrements étaient faits en direct. Aujourd’hui, bien sûr, tout est fait avec un ordinateur : si le chanteur rate une note, on peut aller la réparer par des moyens électroniques ou tout simplement reprendre la ligne concernée. Nous obtenons donc aujourd’hui un enregistrement de qualité supérieure, pour le meilleur ou pour le pire; c’est certainement la personne qui fait le choix, mais il n’y a pas à douter que l’enregistrement est parfait à beaucoup plus d’égards qu’auparavant.
JO : Le site Internet consacré au Gramophone virtuel met en fait en vedette toute la collection musicale de BAC. Savez-vous dans quelle mesure le site est utilisé?
GS : Tout d’abord, disons que ce n’est pas là toute la collection. Il s’agit uniquement d’œuvres du domaine public qui ne sont plus assujetties à des droits d’auteur. Toutes ces chansons ont donc été numérisées au cours des années, dans la mesure de nos moyens. Par exemple, l’an dernier, les internautes ayant consulté ce site ont écouté huit millions de chansons. Ce qui est vraiment remarquable, c’est qu’il ne s’agissait pas de musique populaire d’aujourd’hui : on s’intéresse vraiment aux anciens airs. Nous avons reçu des commentaires de la part de membres du public, de cinéastes ou de réalisateurs de spectacles télévisés qui se servent constamment de la musique pour leurs scénarios ou pour ce sur quoi ils travaillent. Et que dire des étudiants en cinématographie et en musique? Vous savez, les styles d’interprétation ont changé avec les années. Il est donc très intéressant pour les étudiants en musique de comparer les anciennes versions aux nouvelles. Par ailleurs, sur le site du Gramophone virtuel, il y a des notes à l’intention des enseignants. Ceux-ci peuvent donc poser les questions suivantes à leurs étudiants : Comment cette musique diffère-t-elle de celle d’aujourd’hui quant au son? Comment l’interprétation se distingue-t-elle de celle d’aujourd’hui? Ces notes semblent avoir été très bien accueillies par les enseignants.
JO : Pouvez-vous nous parler du projet de numérisation le plus difficile auquel vous avez travaillé à ce jour?
GS : J’ai reçu un disque 78 tours fait d’un plastique très mince, du genre de celui que l’on trouvait dans les revues National Geographic ou dans les boîtes de céréales. Or, le disque en question avait été plié en deux. Quelqu’un avait dû le glisser dans une enveloppe pour l’envoyer quelque part. Par conséquent, à chaque demi-tour du disque, l’enregistrement faisait un saut. J’ai donc dû en enregistrer la moitié et essayer de récupérer l’autre moitié, et procéder de la sorte tour après tour jusqu’au bout. Après des dizaines, pour ne pas dire des centaines de manipulations de montage, j’ai réussi à rapiécer tout le morceau, tour après tour, et à éliminer le plus possible le bruit produit à chaque « saut » dans la piste sonore. Le titre de la chanson était « Hush-a-ba-birdie ».
JO : Quelle est la plus grande différence entre ces enregistrements musicaux et ceux d’aujourd’hui, du point de vue de la collection?
GL : Du point de vue de la collection, c’est une bonne question. À mon avis, il n’y a pas une grande différence, parce que l’idée reste toujours de mettre la main sur tout ce qui sort. Peut-être que la difficulté aujourd’hui, c’est que l’on sort plus d’enregistrements – beaucoup plus – et que les moyens de diffusion multiples et divers font que cela devient d’autant plus un défi de tout obtenir, parce que nous collectionnons maintenant ces CD, des copies tangibles, si vous voulez. Au fond, l’ère du numérique présente tout simplement un tout autre type de défis auxquels nous devrons certainement trouver des réponses dans les toutes prochaines années, puisque notre but, c’est de tout collectionner. La numérisation nous ouvre évidemment toutes les possibilités pour préserver notre collection parce qu’elle est conservée sur d’autres supports. Elle nous permet aussi de satisfaire les Canadiens qui viennent nous voir et qui veulent écouter des enregistrements numériques. Le problème, ce sera la question des droits d’auteur qu’il faudra régler, ce que nous ferons dans les toutes prochaines années. À chaque époque ses défis, je suppose, pour ce qui est de préserver au mieux les copies et c’est, entre autres, pourquoi nous avons créé le site Web du Gramophone virtuel, pour que les Canadiens puissent le consulter en ligne et pour que nous n’ayons pas à utiliser les copies originales, les 78 tours originaux qui, dans bien des cas, sont très fragiles. En fait, même s’ils sont en bon état, ils sont vraiment fragiles et au moindre choc, ils risquent de se fêler et de ne pas être réparables.
JO : Selon vous, quels défis devrons-nous relever à l’avenir en ce qui concerne la collection physique?
GS : Le plus gros défi – et pas seulement pour nous, mais pour le monde entier – ce sera toute la question de l’obsolescence du matériel. Nous avons de la chance, en ceci que les disques, les sillons reposent sur une technique assez simple et facile à reproduire. Par exemple, nous avons un phonographe à cylindre – là encore, une technique dont l’invention remonte aux années 1870, mais nous avons un phonographe moderne en aluminium, très bien usiné, qui jouera ces disques. Le vrai défi sera posé par du matériel plus moderne, comme les bandes magnétiques ou certains des premiers médias numériques qu’on ne peut pas reproduire. Il faudrait reproduire des puces à circuit intégré et toutes les machines nécessaires pour cela. Or, je sais que de nombreuses archives dans le pays et dans le monde n’en ont pas les moyens. On ne fabrique plus ces machines depuis 20 ou 30 ans, alors imaginez dans 50 ans, vous aurez une pièce remplie de bandes que vous ne pourrez pas écouter.
JO : La numérisation est-elle donc la seule solution pour cette partie de la collection?
GS : La numérisation est la seule solution parce qu’elle nous permet de stocker beaucoup d’information dans des contenants assez petits, et ensuite d’automatiser le processus de copie de l’information. Une fois copiée en haute résolution, il suffit de la transférer sur un support un peu plus stable.
JO : Est-ce que cela veut dire que vous passez constamment d’un support à l’autre à mesure que les choses changent?
GS : Ce que nous faisons, par exemple, c’est de passer du disque à un fichier audio. Une fois que nous avons un fichier numérique, nous le stockons sur un support informatique, et il reste aux informaticiens à veiller à ce que tout soit bien fait, et que nous ayons le matériel voulu pour écouter les vieux fichiers numériques.
JO : Je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui. Ce fut un plaisir de discuter avec vous et d’en apprendre autant à ce sujet.
GS : C’est moi qui vous remercie.
JO : Afin d’en apprendre davantage sur l’utilisation du site du Gramophone virtuel, lisez notre blogue intitulé Écoutez l’histoire de la musique du Canada à l’aide du Gramophone virtuel sur le site ledecoublogue.com. Pour consulter la collection musicale de Bibliothèque et Archives Canada, rendez-nous visite en ligne à Musique, films, vidéos et enregistrements sonores
Merci d’avoir été des nôtres. Ici Jessica Ouvrard, votre animatrice. Vous écoutiez Découvrez Bibliothèque et Archives Canada – votre fenêtre sur l’histoire, la littérature et la culture canadienne. Je remercie nos invités d’aujourd’hui, Ian Driscoll et Carolyn Strange.
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